Tour du monde

France

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La France a offert son berceau à la musique savante occidentale, ce qui lui a garanti un demi millénaire d'hégémonie, de 1100 à 1600 !

Cela ne date pas d'hier, j'en conviens, et l'inconscient collectif se montre volontiers amnésique lorsqu'il considère que les pays de langue allemande, l'Allemagne et l'Autriche, sont la vraie patrie des musiciens, au motif qu'ils ont vu naître Bach, Mozart et Beethoven mais aussi Haendel, Schubert, Wagner et Schönberg.

Cette abondance de génies de tout premier plan, la France ne la possède effectivement pas, n'ayant à proposer que quatre artistes d'exception, également répartis sur trois siècles : Jean-Philippe Rameau (1683-1764), Hector Berlioz (1803-1869), Claude Debussy (1862-1918) et Olivier Messiaen (1908-1992).

Jean-Philippe Rameau
Jean-Philippe Rameau
Hector Berlioz
Hector Berlioz
Claude Debussy
Claude Debussy
Olivier Messiaen
Olivier Messiaen

Ces musiciens sont essentiels parce que non interchangeables : Telemann, Mendelssohn ou Henze n'auraient pas existé que la musique ne s'en serait pas forcément trouvée orpheline mais on ne peut décidément en dire autant de ces quatre musiciens français. Rendons-nous à l'évidence que :

  • Rameau, c'est la perfection harmonique, à l'état pur. Même quand il écrit un simple rigaudon, un tambourin, un rondeau ou une plus ambitieuse chaconne, il les cisèle harmoniquement comme personne ne le fera plus jamais. Que dire alors du Trio des Parques, extrait d'Hippolyte et Aricie, qui posa tant de problèmes aux interprètes de l'époque ? Claude Debussy ne s'y est pas trompé, ayant rendu à Rameau le plus vibrant des hommages à une époque où bien peu s'en souciaient. J'ajouterai que les cabinets ORL devraient imposer l'oeuvre de Rameau à leurs patients, ils en tireraient des enseignements édifiants quant au degré d'obstruction des voies auditives de la population actuelle. Si vous voulez faire connaissance de Pygmalion, des Indes Galantes ou d'Hippolyte et Aricie, exigez la version de William Christie, pour Les Boréades choisissez John Elliot Gardiner et pour Platée ou Dardanus, optez pour Marc Minkowski. La Petite Bande de Sigiswald Kuyken a également défendu ce répertoire avec panache (Hippolyte et Aricie, Zaïs, Zoroastre).
  • Berlioz, c'est le romantisme échevelé dans ce qu'il a produit de plus magnifiquement excessif. A cet égard, on n'a jamais fait plus fort que la scène du Carnaval romain, extraite de l'opéra Benvenuto Cellini. Berlioz savait aussi être lyrique comme en attestent quelques envolées mélodiques de haute tenue (Damnation de Faust, Roméo et Juliette, Nuits d'été, ..., extraits chantés ici par Dame Janet Baker, jamais égalée dans ce répertoire). Inexplicablement, les interprètes français ne se sont jamais bousculés au portillon pour enregistrer l'oeuvre de Berlioz. Pour disposer des opéras, il faut toujours se référer à l'ancienne version de Sir Colin Davis et pour le reste, sauf la Symphonie fantastique et le cycle des Nuits d'été, il faut fouiner. Ne passez pas à côté des 4 Cantates pour le Prix de Rome ni surtout de la Messe solennelle, oeuvre de jeunesse qui préfigure - et avec quelle fougue - la "Fantastique"; le CD dirigé par Gardiner est essentiel !
  • Debussy a beaucoup été imité - voire revendiqué - mais, dans son genre, il n'a jamais été égalé ni d'ailleurs approché : le sortilège des gammes exotiques (en particulier, par tons entiers), du rythme imprévisible, de la fausse improvisation, c'est lui, Claude de France, comme il aimait signer. Pour cette fois, les interprètes français se sont mobilisés dès la première heure au service de cette oeuvre unique (Cependant, c'est un pianiste italien, Arturo Benedetti Michelangeli qui séduit les experts dans les célèbres Préludes). Les oeuvres orchestrales maîtresses (La Mer, Images, Iberia, La Boîte à Joujoux, ...) ont été abondamment enregistrées mais vous vous attarderez, en priorité, sur les interprétations exemplaires de Pierre Boulez. Naxos a également consacré 6 volumes à ce corpus pour orchestre, y incluant quelques raretés : une anecdotique Symphonie de jeunesse, achevée par Tony Finno (Vol. 6, plages 14 à 16) ou la cantate, L'Enfant prodigue, récompensée par le Prix de Rome, en 1884 (Debussy eut effectivement plus de chance que Saint-Saëns et Ravel, recalés tous les deux !). Ma seule réticence devant cette oeuvre immense, c'est - j'ai honte - l'opéra Pelleas et Mélisande, dont la prosodie héritée du texte d'un autre âge, dû à Maeterlinck, m'est toujours restée largement étrangère, dommage (pour moi).
  • Messiaen compte parmi les plus grands maîtres novateurs de l'orchestre au 20ème siècle : en quelques oeuvres monumentales, Symphonie Turangalila, Des Canyons aux Etoiles (6ème mouvement, "Appel interstellaire (sic)", à ne pas manquer !), Eclairs sur l'Au-Delà, La Transfiguration de Notre Seigneur Jésus-Christ, il a renouvelé le langage symphonique quand d'autres, pourtant parmi les meilleurs, Schostakovitch, Pettersson, Weinberg, Schnittke, Penderecki, ..., se sont satisfaits de fouler autrement des sentiers déjà battus. Si la taille de ces oeuvres vous intimide, commencez par Un Sourire qui déploie déjà des sortilèges à vos oreilles. L'oeuvre pour claviers - piano(s) ou orgue et disponible à prix doux chez Brillant (17 CD pour 20 euros !) - vous posera vraisemblablement plus de problèmes d'écoute si vous ne choisissez pas votre angle d'attaque; il m'arrive d'être agacé par quelques tics d'écriture, lorsque les chants d'oiseaux deviennent caricaturalement envahissants. Je vous propose de commencer votre exploration par cette étonnante Fantaisie burlesque, particulièrement originale, puis, plus difficile, de poursuivre par Regard sur l'Enfant Jésus. Le monumental opéra Saint-François d'Assise (4 h 20 min !) est une merveille réservée aux initiés. Créée à Paris, en 1983, puis reprise un nombre étonnant de fois malgré sa difficulté - en particulier, le rôle écrasant confié au baryton - l'oeuvre est entrée au répertoire des maisons qui ont les moyens de la produire et un public confiant. On notera la ligne constamment chantante de l'oeuvre (Acte I, scène 1, pour baryton, puis Acte III, scène 7, pour choeurs).

Quatre génies incontournables, le bilan peut paraître maigre, pourtant il suffit d'étendre l'inventaire aux talents moindres mais confirmés - en fait les véritables garants de la vitalité musicale d'une nation - pour que la musique française apparaisse, tout d'un coup, d'une richesse exceptionnelle. C'est la longue liste de ces musiciens, pas toujours très connus, que cette chronique se propose d'illustrer, en particulier par quelques extraits sonores significatifs.

Le bas Moyen-Age

C'est en France, au 9ème siècle, que la musique occidentale s'est progressivement libérée du corset grégorien codifié pendant les deux siècles précédents. Cela s'est fait lentement, presque inconsciemment, à la faveur d'inventions diverses, le trope, la polyphonie et, sur un plan plus technique qui ne nous concerne pas ici, la notation neumatique.

  • Le trope (vers 850). On attribue aux moines de Jumièges d'avoir eu l'idée de greffer des paroles sur les longues vocalises grégoriennes (de l'Alléluia puis plus tard des autres parties du graduel, Kyrie, ...), afin d'en faciliter la mémorisation. Le procédé fut aussitôt accueilli avec enthousiasme et amplifié par Notker, dit le Bègue, moine à Saint-Gall (Suisse). Ce qui n'était qu'une astuce mnémotechnique devint progressivement un moyen d'évasion au potentiel prometteur : à défaut de pouvoir ajouter de nouvelles lignes mélodiques à un corpus figé dans la règle de Saint Grégoire, au moins allait-on pouvoir broder sur celles existantes . Même le chant profane a bénéficié du principe de cette avancée. Selon Hans Spanke, bien que l'on enseigne officiellement que le mot "troubadour" dérive étymologiquement de "trobador" (celui qui trouve), il se pourrait - mais ce n'est peut-être qu'un jeu de mots - qu'il provienne de "tropator" (celui qui sait troper). Jacques Chailley, dans son essai "Histoire musicale du Moyen Age", soutient cette thèse, voyant même dans les répons tropés du Mystère chrétien l'origine du théâtre occidental.
  • La polyphonie (peu avant 900). Alors que le trope fait un lien entre le texte et la mélodie, la polyphonie s'intéresse à la relation des mélodies entre elles. Nul ne sait qui eut, le premier, l'idée de superposer plusieurs voix, peut-être le Tournaisien Hucbald ou le Laonnois Ogier (Otger) ? L'idée de base repose sur ce fait expérimental plutôt banal que lorsque des hommes, des femmes et des enfants croient chanter à l'unisson, ils chantent en réalité, en voies parallèles situées à l'octave, voire à la quinte ou à la quarte (La tierce n'est venue que plus tard, le temps que les oreilles apprivoisent des intervalles de moins en moins arithmétiquement exacts). Ce procédé, qu'on appelle diaphonie, représente la forme la plus primitive de la polyphonie. L'histoire musicale du Moyen-Age propose un inventaire des perfectionnements qu'a subis la diaphonie lorsque les voix se sont progressivement écartées du parallélisme strict, se sont entrecroisées mélodiquement ou ont superposé des textes distincts, confiés à diverses voix.

À l'origine, l'organum se composait de deux voix : une voix basse, dite organale, en plain-chant (ou chant plat) formant un bourdon et une voix haute, dite principale, chantant le texte religieux. Il faudra attendre les 11ème et 12ème siècles, sous l'impulsion des écoles de Saint-Martial de Limoges (polyphonie d'Aquitaine) puis de Notre-Dame de Paris, pour que la voix organale s'émancipe du simple bourdon et suive une ligne mélodique indépendante.

La voie organale, posée initialement dans le registre grave par rapport à la voix principale, inversera ultérieurement la tendance en se positionnant dans l'aigu (technique du déchant) et en prenant à son compte les longues vocalises ornementales (organum fleuri). La vox principalis qu'on nomme désormais cantus firmus (ou ténor, au sens de teneur) apparaît désormais en retrait par rapport à la vox organalis (ou discantus), plus aiguë et annonçant la partie de soprano, qui sera chère à la Renaissance. Aux 12ème et 13ème siècles, ces techniques se perfectionneront à leur tour, menant au conduit et surtout au motet, par adjonction de voix. Le lecteur, impatient d'en savoir plus, peut, par exemple, consulter ce site.

Note. Le déplacement de la voix organale vers l'aigu est la première manifestation d'une tendance qui ne cessera de s'amplifier au cours des siècles : chanter ostensiblement toujours plus haut. Ainsi l'époque baroque s'enthousiasmera pour les voix de castrats et plus près de nous, le bel canto confiera les rôles principaux aux sopranos et aux ténors, leur réservant quelques notes extrêmes que les abonnés de la Scala - aujourd'hui centenaires ou morts - guettaient lorsque les voix le permettaient encore. Actuellement, les normes sont devenues plus raisonnables - enfin moins ambitieuses - les chanteurs actuels, pressés de toutes parts, ne laissant plus à leur voix le temps de murir. La divine Maria Callas perdit l'essentiel de ses moyens en 5 ans pour s'être acharnée à être soprano quand sa tessiture naturelle était celle d'une mezzo.

Le haut Moyen-Age

Voici la ligne du temps telle qu'elle se déroule en France entre 1100 et 1400 : c'est là que notre histoire commence réellement. La Chanson de Roland fut écrite vers 1090 mais nul ne sait avec certitude si elle était chantée, au moins partiellement. Le fait est que seul le texte a survécu. Par contre, le tout aussi anonyme Jeu de Daniel (Beauvais, vers 1150) nous est intégralement parvenu, alternant processions, récitatifs et plaintes. Il a fait l'objet de plusieurs reconstitutions discographiques dont celles, plutôt sages, des ensembles, Venance Fortunat et Dufay Collective ou celle, plus ornée, de l'Ensemble Estampie.

Ligne du temps en France entre 1100 et 1400
Ligne du temps en France entre 1100 et 1400

Il a fallu attendre les années 1170 pour rencontrer deux magisters de l'Ecole Notre-Dame de Paris, Léonin (1150-1201) et Pérotin (1160-1230), ayant signé leurs oeuvres.

Toujours dans le domaine de la musique d'église, quantité d'anonymes ont oeuvré un peu partout en France, réunissant leurs œuvres dans quelques manuscrits qu'on exhume peu à peu (Manuscrits du Puy, d'Apt, de Tours, …).

Une musique profane, populaire mais raffinée, a vu le jour dès le 12ème siècle, initiée et entretenue par les troubadours au Sud et les trouvères au Nord :

  • L'origine de la pratique des troubadours fait encore débat mais on considère que Guillaume IX d'Aquitaine (1071-1126) (alias, Guillaume VII de Poitiers), fut parmi les premiers à relater, en chant accompagné, les exploits de ses croisades (tout relatifs, voire enjolivés, vu qu'ils revint défait, un an à peine après être parti !). Il fut suivi par quelques valeureux artistes qui ont pour noms : Raimbaut de Vaqueiras - ici dans son tube, Kalenda Maia - , Jaufré Rudel, Marcabru, Bertran de Born, Gaucelm Faidit, Giraut Riquier, Peire Vidal, Raymond VI de Toulouse, Guiraut de Bornelh, Bernard de Ventadour, ..., et même une gente dame, Beatritz de Dia (trobairitz). Le répertoire des troubadours a été exploré dès les années 1960 par des interprètes-pionniers, l'ensemble Sequentia, le Studio der fruhen Musik ou le trop tôt disparu David Munrow. Aujourd'hui de tels ensembles se multiplient, chacun venant ajouter sa touche présumée d'authenticité.
  • Au Nord et avec un temps de retard, les trouvères, Blondel de Nesle, Conon de Béthune, Charles d'Orléans, Chrétien de Troyes, Adam de la Halle, Colin Muset, Thibaut de Champagne, Gace Brulé, Jehannot de Lescurel, ..., célébrèrent l'amour courtois en langue d'oil. Leur art, plus policé, souvent confié à des interprètes ménestrels formés à cet effet, annonce la poésie musicale qui culminera à la Renaissance. Adam de la Halle (1245-1288) est la figure centrale parmi les trouvères : on lui doit l'une des premières oeuvres "théâtrales" à succès, le Jeu de Robin et Marion, enregistré ici par l'Ensemble Micrologus.

L'Ars Nova

Cependant, un essor véritablement savant exigeait de faire évoluer le langage musical. Ce fut l'œuvre du premier théoricien de la musique, Philippe de Vitry (1291-1361), père fondateur de l'Ars Nova (par opposition à l'Ars Antiqua de Léonin et Pérotin). L'objectif était de codifier les nouvelles pratiques musicales, la polyphonie, le système mensuraliste, la notation mesurée, l'isorythmie et l'iso périodicité. Vitry est connu pour quelques motets d'attribution probable et surtout pour son adaptation musicale, dans le style de l'Ars Nova, du Roman de Fauvel (vers 1312). Les vers, du poète Gervais du Bus, brocardaient tellement le règne de Philippe le Bel, qu'ils lui valurent la pendaison.

Le maître incontesté de l'Ars Nova fut Guillaume de Machaut (1300-1377). C'est lui qui a ouvert la longue liste des compositeurs qui marqueront l'histoire de la musique occidentale. Sa Messe Nostre Dame se dresse plus que jamais fièrement à l'horizon musical et son auteur serait bien étonné d'apprendre qu'elle compte aujourd'hui des dizaines d'enregistrements, cherchant chacun à leur manière à retrouver "un" son authentique. L'éventail en notre possession démontre qu'aucun consensus n'existe à cet égard, d'où l'auditeur moderne fera bien de choisir l'interprétation qui lui plaît le mieux. Voici l'Ensemble Organum de Marcel Peres ou l'Ensemble Gilles Binchois, trop sages à mon goût, comparé à ce que proposaient naguère le Collegium Aureum , dirigé par Alfred Deller, ou le Clemencic Consort, âpres à souhait (sans compter un doublage instrumental, contestable mais bienvenu). C'est la rudesse de ton de la musique de Machaut qui lui confère sa modernité.

Vers 1400, alors que le peuple demeure plus que jamais confronté aux épreuves de la vie quotidienne, un art courtois prend naissance dans les châteaux, traduisant une aspiration à un monde idéal et meilleur. Nous ferons coïncider, un peu arbitrairement, la fin du Moyen-Age musical avec le court mais brillantissime épisode de l'Ars Subtilior, qui couronne l'art courtois par ses raffinements esthétiques et techniques déployés jusqu'aux limites du possible.

L'Ars Subtilior fut simultanément présent en France (Cour de Jean 1er, Duc de Berry, et de Janus de Lusignan, Roi de Malte) et en Italie, à Padoue, sous la houlette du liégeois Johannes Ciconia fils (1370-1412). Si le Codex Chantilly a reçu, le premier, l'attention des musicologues et des studios d'enregistrements, ma préférence va aux extraordinaires Manuscrits de Malte qui ont accompagné les Croisés maîtres autoproclamés de l'île. Deux enregistrements existent, dus à l'Ensemble Huelgas, chantés avec une perfection qu'on ne croirait pas de ce monde. Si vos finances ne sont pas au mieux, optez pour l'album Cypriot Advent Antiphons, c'est une splendeur (Ecoutez un plus large extrait de Veni Splendor Mirabilis ). Sachez encore qu'un boîtier de 15 CD, reprenant des pièces du Moyen-Age et de la Renaissance, chantées par les mêmes interprètes, est disponible pour 30 euros; à ce niveau de perfection vocale, c'est carrément donné. Dommage que les Cypriot Advent Antiphons n'en fassent pas partie.

Le lecteur impatient d'en savoir encore plus peut, par exemple, consulter cet autre site.

La basse Renaissance

Prolongeons la ligne du temps jusqu'aux années, 1400-1600, celles de la Renaissance. Il est d'usage de la nommer franco-flamande mais il faut prendre garde que nombre de musiciens sont, en fait, issus du Hainaut belge actuel. Précisons que les lieux de naissance de quelques compositeurs sont régulièrement contestés, tel Guillaume Dufay, né en 1400, à Cambrai selon les auteurs français, au motif qu'il y a effectivement fait ses études, ou à Beersel, près de Bruxelles, selon d'autres sources, belges évidemment.

Renaissance
Renaissance

Les grands chefs-d'oeuvre de la Renaissance, de Dufay à Lassus en passant par Josquin des Prés, sont d'essence religieuse, messes et motets; ils ont été abondamment commentés par ailleurs sur ce site. Peu avant 1500, on a vu se développer simultanément une tradition profane, faite de chansons polyphoniques, courtoises et bientôt gaillardes. Clément Janequin (1485-1558) fut le maître du genre, faisant quantité d'émules (Crecquillon, Passereau, Certon, Sermisy, Le Jeune , ...). Les chorales actuelles puisent encore largement dans ce répertoire comme en atteste cette interprétation du La la la de Pierre Certon.

La haute Renaissance

L'Italie qui était jusque-là demeurée curieusement en retrait s'est réveillée sous l'impulsion de Claudio Monteverdi. Il a imposé une nouvelle pratique musicale où la ligne mélodique horizontale, chargée d'émotion, prenait le pas sur la savante polyphonie verticale. Les musiciens français, non préparés à ce langage lyrique d'un genre nouveau, mettront plusieurs décennies à l'intégrer.

Pierre Guédron (1565-1620), puis son gendre Anthoine Boesset (1587-1643), ont régné sans grand partage mais aussi il faut bien le reconnaître sans beaucoup de concurrence à la cour des rois de France, Henri IV et Louis XIII. Etienne Moulinié (1599-1676) a fait de même à la cour de Gaston d'Orléans, frère de Louis XIII. Ensemble, ils ont porté à son degré de perfection, l'air de cour, mutation distinguée des chansons de la Renaissance. Ce style, que les hardies percées italiennes condamnaient à la disparition, aura pourtant la vie dure et Michel Lambert (1610-1696) le défendra encore à une époque bien tardive. Vincent Dumestre et son ensemble, Le Poème Harmonique, se sont beaucoup investis dans ce répertoire, nous offrant quelques albums précieux.

Le languedocien Guillaume Bouzignac (1590-1640) a tenté, avec un certain mérite, de recoller les morceaux de la polyphonie renaissante agonisante mais de toute évidence, la France avait surtout besoin d'assimiler les idées nouvelles en provenance d'Italie.

L'époque baroque

C'est de fait un italien, Jean-Baptiste Lully (1632-1687), qui a volé au secours de la musique française, lui forgeant de toutes pièces un style théâtral nouveau. Entré, à 20 ans à peine, au service de Louis XIV, il a épousé Madeleine Lambert, la fille du Lambert susnommé. Son style est si idiomatiquement français que, pour cette fois, on le naturalisera sans la moindre hésitation.

L'arrivée de Lully eut l'effet d'un coup de fouet sur la création musicale : dès 1650, la France aphone retrouve, en effet de la voix dans le concert européen, tant dans le domaine instrumental que vocal.

Élisabeth Jacquet de La Guerre
Élisabeth Jacquet de La Guerre

Quelques claviéristes de talents se sont illustrés dans un style à la française : Louis Couperin (1626-1661), Gaspard Le Roux (1660-1707), Élisabeth Jacquet de La Guerre (1665-1729), une des très rares compositrices de l'époque, cela valait bien un portrait, d'autant que Louis XIV - insigne honneur - l'avait "remarquée", François Couperin (1668-1733), neveu de Louis - mais la lignée des Couperin ne se limite pas à ces deux figures illustres - , Louis Marchand (1669-1732), Nicolas de Grigny (1672-1703), Antoine Forqueray (1672-1745), Louis-Nicolas Clerambault (1676-1749), Louis-Antoine Dornel (1685-1765), Louis-Claude Daquin (1694-1772), Joseph Nicolas Pancrace Royer (1705-1755), Michel Corrette (1707-1795), Jacques Duphly (1715-1789), Claude Balbastre (1727-1799). L'amateur s'attardera sur les magnifiques "Ordres pour le clavecin" de François Couperin, le plus dur étant de trouver un instrument qui sonne bien : Les Lis naissans (sic), Les Barricades mystérieuses, Les Ombres errantes, Les Idées heureuses, ..., sont autant de pièces délectables. Il meublera également avec plaisir ses heures de loisirs grâce aux plus que charmants 25 "Concertos comiques" de Michel Corrette, ici dans ces Variations sur un thème de Rameau (extrait des Indes galantes) ou là, dans J'ai du bon Tabac.

Note. C'est à dessein que j'ai mentionné les dates de naissance et de décès de chacun car elles illustrent un phénomène caractéristique du baroque français que le paragraphe concernant les airs de cours laissait déjà deviner et que celui concernant la tragédie lyrique confirmera : les musiciens français de cette époque usent la corde dont ils jouent jusqu'au point de rupture. Michel Lambert écrit encore des airs de cour 75 ans après les premiers essais de Pierre Guédron. Jacques Duphly (1715-1789) ou Claude Balbastre (1724-1799) ne sont pas précisément en avance sur leur temps dans leurs livres pour le clavecin et nous verrons que Rameau ne fera pas autrement en écrivant les Boréades en 1763. Mettons-nous bien d'accord : la qualité des oeuvres de chacun n'est absolument pas en cause (Les Boréades est un chef-d'oeuvre absolu et l'oeuvre pour clavecin de Duphly est admirable) mais simplement, cette propension à s'attarder sur un style à succès n'était pas la meilleure manière de postuler une position de premier plan dans le concert européen. L'oeuvre tardive de Rameau fut d'ailleurs la source de la Querelle des Bouffons qui vit, 150 ans après 1600, une nouvelle contestation de la musique française par sa consoeur transalpine.

Les flûtistes Michel Pignolet de Montéclair (1667-1737), Jacques Hotteterre (1673-1763), Joseph Bodin de Boismortier (1689-175) et Michel Blavet (1700-1768), les violonistes, Jean-Féry Rebel (1666-1747) - un musicien scandaleusement négligé, ici dans l'étonnant chaos qui ouvre ses Eléments, sa seule oeuvre régulièrement jouée -, Jean-Marie Leclair (1697-1764) et François Francœur (1698-1787), le luthiste Robert de Visée (1650-1725) et les violistes, Sainte-Colombe père (ca 1640-1701) & fils (1660-1720) et Marin Marais (1656-1728) complètent cet excellent tableau instrumental.

La musique d'église est dominée par l'art souverain de Marc-Antoine Charpentier (1634-1704), interdit d'opéra suite aux incessantes intrigues de Lully à la cour de Louis XIV : des messes, un célébrissime Te Deum et quantité de pièces jamais mineures, tel ce beau Stabat Mater , d'une émouvante simplicité. Aujourd'hui, juste retour des choses, Charpentier se porte plutôt mieux que son rival, au CD du moins. On mentionnera encore un vaste répertoire de musiques d'église hautement décoratives, de Jean-Baptiste Lully (1632-1687), Sébastien de Brossard (1655-1730), Michel Richard de Lalande (1657-1726), André Campra (1660-1744), Henry Desmaret (1661-1741), Jacques Antoine DeNoyé (1700-1759), ... . Quant aux nombreuses Leçons des Ténèbres, elles sont toutes éclipsées par celles, lumineuses, de François Couperin.

Toutefois, la grande affaire du baroque français, c'est la tragédie lyrique, initiée par Lully et magnifiée par Rameau. Il fut un temps pas si lointain où le mélomane ne pouvait rien connaître de ce répertoire fascinant sauf aux détours de quelques enregistrements souvent calamiteux. Depuis, quelques baroqueux venus d'ailleurs ont fait honte aux interprètes français en leur révélant les trésors de leur patrimoine : l'américain William Christie dans Atys (Lully), le belge Sigiswald Kuyken dans Pygmalion, Zaïs ou Zoroastre (Rameau) ou l'anglais John Elliot Gardiner dans les Boréades (Rameau). Aujourd'hui, on constate avec soulagement que des artistes français se sont mobilisés afin de combler les nombreux espaces encore vacants dans le répertoire enregistré : Marc Minkowski (Platée de Rameau), Hervé Niquet (Sémélé de Marin Marais), Hugo Reyne (Ulysse de Jean-Féry Rebel), Christophe Rousset (Belléphoron de Lully), proposent enfin des produits faits maison et de qualité. En résumé, outre les chefs-d'oeuvre disponibles de Lully et Rameau, tout amateur d'opéra baroque doit connaître :

David et Jonathas de Marc-Antoine Charpentier (1634-1704), Achille et Polyxène de Pascal Collasse (1649-1709), Sémélé de Marin Marais (1656, 1728), Tancrède et Le Carnaval de Venise d'André Campra (1660-1744), Vénus et Adonis de Henry Desmaret (1661-1741), Céphale et Procris d'Elisabeth-Claude Jacquet de la Guerre (1665-1729), Ulysse de Jean-Fery Rebel (1666-1747), Callirhoé d'André-Cardinal Destouches (1672-1749), Les Amours de Ragonde de Jean-Joseph Mouret (1682-1738), Daphnis et Chloé de Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755), Scylla et Glaucus de Jean-Marie Leclair (1697-1764) et Les Fêtes de Paphos de Jean-Joseph Cassanea de Mondonville (1711-1772). Les bachoteurs se contenteront de Sémélé, de Callirhoé, de Daphnis et Chloé et de Scylla et Glaucus. Pour la petite histoire, sachez que Lully eut deux fils, Louis et Jean-Louis, qui écrivirent également des tragédies lyriques : elles connurent un succès (d'estime ?) avant de sombrer (définitivement ?) dans les oubliettes de l'histoire.

L'âge classique

Cet attachement inconditionnel à un style qui avait fait ses preuves mais qui avait aussi atteint ses limites, fut à nouveau fatal à la musique française qui manqua cette fois le train du classicisme. Mis à part les belges, André Modeste Grétry (1741-1813) et surtout François-Joseph Gossec (1734-1829), la France ne proposa rien de transcendant, comparé à ce qui s'écrivit en Bohême et à Vienne. Seul Antoine Dauvergne (1713-1797) contredit cette opinion avec son opéra, Les Troqueurs, bien enregistré par l'infatigable William Christie. Charles Hérissé (1737-1817) et François Giroust (1738-1799) sont aujourd'hui malheureusement bien oubliés. Quant à Hyacinthe Jadin (1776-1800), d'origine belge, à nouveau, et auteur de prometteuses pièces de musique de chambre, il n'eut pas le temps de confirmer les espoirs que l'on pouvait légitimement fonder sur lui.

Jean-François Tapray
Jean-François Tapray

Les éditeurs décontenancés par la pénurie de musiciens classiques sont obligés de faire des fouilles archéologiques pour étendre le répertoire. Un musicien lorrain, Jean-François Tapray (1737-1819), tellement méconnu que les dates mentionnées ne le sont qu'à titre indicatif, mériterait sans doute qu'on s'y intéresse davantage. C'est du moins ce que suggère un enregistrement de 6 Concertos pour orgue qui hésitent encore entre le baroque tardif de Michel Corrette et le Sturm und Drang allemand. Ne m'écrivez pas pour savoir quel est le monument bizarre qui orne la pochette, je l'ignore et le livret ne le dit pas; par contre je voudrais le savoir. Je n'exclus nullement qu'il s'agisse d'une fantaisie d'artiste, pressé d'illustrer les tuyaux de l'instrument.

La Révolution confisquée

La révolution de 1789 aurait pu favoriser l'avènement d'un style nouveau si les musiciens autochtones s'étaient montrés à la hauteur des ambitions d'une société en pleine mutation. Hélas, dès 1790, on ne trouva guère que l'inusable Gossec pour mettre en musique les Fêtes de la nouvelle République. Encore ne pouvait-il raisonnablement être considéré comme l'interprète sincère des sentiments révolutionnaires, ayant prêté son talent, avec un bonheur aussi égal qu'opportun, à tous les régimes qui se sont succédés de 1750 à ... 1830 ! A part cela, saviez-vous que "Il pleut Bergère" était une chanson révolutionnaire, tirée de l'opérette, "Laure et Pétrarque" de Fabre d'Eglantine (qui l'aurait fredonnée en montant sur l'échafaud) ? La bergère serait Marie-Antoinette, il faut vraiment que cette époque ait été indigente pour que j'en sois réduit à m'attarder à de telles billevesées. Trois musiciens tranchent néanmoins sur la grisaille ambiante :

  • Jean-François Lesueur (1760-1837), forcé, comme Gossec, de traverser tous les régimes, a écrit trois oratorios dits du Couronnement, dont les morceaux étaient interchangeables. Ils ont servi, en parties, aux sacres de Napoléon 1er et surtout de Louis XVIII et Charles X (C'est à l'italien Paisiello (1740-1816) qu'on avait commandé l'essentiel de la cérémonie du sacre de l'Empereur, la contribution de Lesueur se limitant à une marche - ici dans une version pompière sans doute proche de ce que souhaitait l'intéressé). Un CD est paru chez Naïve où Christophe Spering dirige des extraits significatifs des 3 oratorios. L'affection de Lesueur pour les débordements sonores annonce clairement la démesure plus calculée de son élève, Hector Berlioz. Mieux employé que dans la pompe officielle, le talent de Lesueur a pu faire des merveilles et je regrette que son opéra, Ossian, n'ait jamais été enregistré intégralement.
  • Etienne Nicolas Méhul (1763-1817) est l'auteur de 4 symphonies qui ne manquent pas d'allure. Elles ont été composées entre 1808 et 1810, une donnée qui a son importance dans la mesure où les Symphonies 1 & 2 - les plus intéressantes - résonnent comme de lointains échos des symphonies contemporaines de Beethoven, a priori inconnues de Méhul.
  • Enfin, Charles-Simon Catel (1773-1830) mériterait, sans doute, que l'on s'intéresse davantage à sa musique. Le toujours curieux Hervé Niquet et son Concert Spirituel viennent précisément de recréer son Sémiramis (1802), au Festival 2011 de Radio-France Montpellier et je présume qu'un CD paraîtra sous peu.

L'idéal révolutionnaire s'est bien exporté Outre-Rhin et on a maintes fois fait remarquer que l'éloquente rhétorique beethovenienne lui devait beaucoup. C'est bien Beethoven qui a transcendé le message révolutionnaire, magnifiant ses composantes d'humanité jusqu'à l'utopie fraternelle de la 9ème Symphonie.

Le Romantisme

Il appartient à un musicien français, Hector Berlioz (1803-1869), d'avoir résolu un problème qui paraissait insoluble : écrire une symphonie - la célèbre "Fantastique" (exigez Charles Munch !) - alors que Beethoven venait de mourir et que son successeur désigné, Franz Schubert, l'avait suivi de peu dans la tombe. La solution trouvée par Berlioz, homme d'orchestre mais aussi de théâtre, était ingénieuse, basée sur la notion de programme. Ce qui pourrait paraître anecdotique ne l'était nullement et tout le courant dissident emprunté à sa suite par Liszt, Franck et Wagner trouve son origine dans l'oeuvre de ce génie incandescent.

Le piano et la musique de chambre n'ont jamais attiré Berlioz. Deux autres musiciens français, que l'histoire tarde à honorer pleinement, ont comblé ces lacunes : Georges Onslow (1784-1853) a écrit 36 quatuors à cordes et presque autant de quintettes mais sachez qu'il est également l'auteur de 4 symphonies, enregistrées chez CPO tandis que Charles Valentin Alkan (1813-1888) s'est surtout consacré au piano, que vous ferez bien d'écouter, autant que possible, sous les doigts de Marc-André Hamelin. Napoléon Henri Reber (1807-1880) et Félicien César David (1810-1876) furent loués par Berlioz dans ses Ecrits sur la Musique. Vous trouverez ici quelques maigres échos enregistrés.

Gabriel Fauré
Gabriel Fauré
Camille Saint-Saëns
Camille Saint-Saëns

La génération suivante a vu naître deux musiciens de grande valeur mais aux antipodes esthétiques : l'académique, Camille Saint-Saëns (1835-1921), bien trop snobé par les puristes qui croient sans doute qu'il n'a écrit que le Carnaval des Animaux et le prophétique, Gabriel Fauré (1845-1924), qui a préparé mieux que tout autre le modernisme français. Deux autres musiciens talentueux et trop tôt disparus, Georges Bizet (1838-1875) et Emmanuel Chabrier (1841-1894), ont incarné la santé voire la bonne humeur d'une certaine musique française : Le Roi malgré lui du dernier nommé est un chef-d'oeuvre trop méconnu.

La même époque a encore vu l'avènement du grand opéra romantique français. C'est à nouveau un étranger - venu d'Allemagne cette fois - qui le leur a forgé : Giacomo Meyerbeer (1791-1864), de son vrai nom Jakob Liebmann Beer. Charles Gounod (1818-1893), Leo Delibes (1836-1891), Edouard Lalo (1823–1892), Edouard Massenet (1842-1912) firent la carrière que l'on sait en lui emboîtant le pas. Fins mélodistes, ils auraient pu aussi bien réussir en musique instrumentale, les "petites" Symphonies de Gounod, les Concertos de Lalo (dont celui pour violoncelle) ou les Scènes Pittoresques de Massenet en sont des preuves évidentes mais la mode de l'opéra en décida autrement. On ne parle plus guère aujourd'hui d'Alfred Bruneau (1857-1934), maître de l'opéra réaliste au même titre que Gustave Charpentier (1860-1956). Son Requiem a pourtant fière allure.

Curieusement c'est encore un allemand, Jacques Offenbach (1819-1880), qui a élevé l'opérette française (Orphée aux Enfers, La belle Hélène, La Périchole, La grande Duchesse de Gerolstein, ..., plus une kyrielle d'oeuvres mineures) au niveau de sa consoeur viennoise. Excellent violoncelliste, Offenbach aurait volontiers écrit des oeuvres plus ambitieuses; il a d'ailleurs prouvé, avec ses Contes d'Hoffmann, qu'il en était parfaitement capable. Hélas, il n'était guère plus courageux que Gioachino Rossini (1792-1868), autre paresseux notoire.

Les écoles françaises

On sait que la deuxième moitié du 19ème siècle a vu, un peu partout en Europe, l'éclosion des écoles nationales de musique. L'exemple de la France est particulier dans la mesure où plusieurs écoles, plus ou moins rivales, ont vu le jour. La défaite de 1870 contre l'Allemagne ayant créé un sentiment de malaise dans les milieux cultivés, artistiques mais aussi scientifiques, elle a provoqué, chez certains, un mouvement de rejet de la musique allemande récente, critiquant la soi-disant surcharge instrumentale des Wagner, Bruckner, Mahler et autre Strauss, voire la lourdeur (!) de Brahms, aux antipodes de ce que la sensibilité française se devait d'exprimer. Comme quoi quand on veut battre un chien, on trouve toujours un bâton.

Tous les artistes ne réagirent pas de façon aussi épidermique et on a pu observer la naissance de factions multiples, plus ou moins rivales. Bien que le Conservatoires de Paris ait compté parmi les plus réputés d'Europe, plusieurs institutions parallèles virent le jour, contestant son autorité chacune à leur manière. Le bilan de ces dissensions fut étonnamment positif : la musique française a fait le même bond en avant que la peinture - mais avec des arguments différents - disputant l'hégémonie musicale à une Allemagne sur le déclin et à une Russie seulement en éveil.

Ecoles françaises
Ecoles de musiques françaises

Note. Ce tableau a pour seule vocation d'illustrer en lignes parallèles l'étonnante diversité des écoles françaises. Elles ne furent pas d'importances égales et il ne faut tirer aucune conclusion du nombre de musiciens notés sur chaque ligne, seuls les membres fondateurs étant repris à coup sûr. Beaucoup de musiciens dont nous allons parler ont fait leurs études au Conservatoire de Paris : Debussy, Emmanuel, Dupont, Dukas, Ropartz, Ravel, Schmitt, Milhaud, Pierné, ..., et plus près de nous, Messiaen, Boulez, Landowski, Escaich, ... . Au terme de leurs études, les premiers nommés se sont dispersés, adhérant à un mouvement esthétique ou suivant un chemin solitaire. De nombreux compositeurs ont fréquenté plusieurs écoles, ce qui rend le jeu de piste particulièrement ardu.

La Société Nationale de Musique (SNM), fondée en 1871 par Romain Bussine et Camille Saint-Saëns, avait initialement pour but de promouvoir la musique française selon la fière devise "Ars gallica". L'idée de contrer l'art germanique était bien présente à cette époque sensible mais il s'agissait également de revitaliser la musique instrumentale à laquelle l'opéra français (Gounod, Massenet, Delibes, Bizet, ... ) avait fait pas mal d'ombre. César Franck, Jules Massenet, Gabriel Fauré (1845-1924), Théodore Dubois (1837-1924), Alexis de Castillon (1838-1873), Henri Duparc (1848-1933) adhérèrent au mouvement sans nécessairement renoncer à leur enseignement au Conservatoire. La Société accepta des partitions non françaises à partir de 1880, ce qui déplut à Saint-Saëns chez qui le génie surpassait notoirement l'esprit de tolérance.

La SNM était clairement une émanation d'un 19ème siècle finissant. Plusieurs musiciens et non des moindres, Gabriel Fauré (1845-1924), Charles Koechlin (1867-1950), Florent Schmitt (1870-1958) et Maurice Ravel (1875-1937), commencèrent à s'y sentir à l'étroit, voire contestés dans leurs désirs de modernité. En 1910, ils créèrent la dissidente Société de Musique indépendante (SMI), bientôt rejoints par Albert Roussel (1869-1937), Louis Aubert (1877-1968) et André Caplet (1878-1925). Très ouverts sur le monde extérieur, ils invitèrent quelques étrangers de marque, Bartok, De Falla, Honegger, Schönberg et Stravinsky à faire entendre leurs oeuvres, offrant à la capitale française un rayonnement qu'elle n'aura plus jamais par la suite.

Vincent d'Indy
Vincent d'Indy

Certains musiciens furent présents sur plusieurs fronts. Déjà actif au sein de la SNM, Vincent d'Indy (1851-1931) adhéra au projet de Charles Bordes et Alexandre Guilmant de créer un Conservatoire libre axé sur un retour de la musique d'église aux traditions grégorienne et palestrinienne ainsi qu'au renouvellement de la musique d'orgue. La disparition de Bordes, en 1900, entérina de fait l'élargissement de l'enseignement à la musique profane tant et si bien que la Schola Cantorum concurrença bientôt le Conservatoire. Les premiers cours de composition furent dispensés par d'Indy en personne, dès 1896, à une classe qui accueillit Déodat de Séverac (1872-1921) et René de Castéra (1873-1955). La réputation de la Schola ne cessa de grandir ainsi qu'en atteste la liste des musiciens formés : des français bien sûr, parfois transfuges de la SNM, Maurice Emmanuel (1862-1938), Albéric Magnard (1865-1914), Erik Satie (1866-1925), Georges Martin Witkowski (1867-1943), Albert Roussel (1869-1937), Antoine Mariotte (1875-1944), Gustave Samazeuilh (1877-1967), Paul le Flem (1881-1984), Edgar Varèse (1883-1965), Georges Migot (1891-1976), Raymond Loucheur (1899-1979), Georges Auric (1899-1983) mais aussi des étrangers (Guillaume Lekeu (1870-1894), Joseph Jongen (1873-1953), Albert Dupuis (1877-1967), Joaquín Turina (1882-1949), Leevi Madetoja (1887-1947), Gösta Nystroem (1890-1966), Arthur Honegger (1892-1955), Ahmet Adnan Saygun (1907-1991), ...). Esprit traditionnel mais ouvert, d'Indy respecta les virages empruntés par Debussy, Bartok ou Schönberg mais sans chercher à suivre leurs traces.

La Schola a essaimé en France (Lyon, Montpellier, ...) et même ultérieurement à Bâle, sous l'impulsion du mécène-musicien Paul Sacher, où elle a fait oeuvre pionnière en matière de musique baroque (Bon nombre de baroqueux célèbres ont enseigné à la Schola Cantorum Basiliensis, René Jacobs, Anthony Rooley, Evelyn Tubb, Christophe Coin, Marc Hantaï, Dominique Vellard, Hans-Martin Linde, Andreas Scholl, Paolo Pandolfo, Jaap Schröder, Jordi Savall, Chiara Banchini, Thomas Binkley, Hopkinson Smith, Bruce Dickey, ..., qui peut dire mieux ?).

D'Indy avait prévu les moindres détails de sa succession à son décès. Cependant le nouvel actionnariat (!) de la société renversa les directeurs prévus tant et si bien que la Schola éclata avec la démission de Gabriel Pierné, Paul Dukas, Guy Ropartz, Albert Roussel et Pierre de Bréville. L'École César Franck naquit de cette nouvelle dissidence, sous la direction de Louis de Serres, mais elle ne connut pas le succès espéré. La Schola amputée de ses meilleurs éléments survécut au séisme mais avec beaucoup moins d'éclat. Ce fut, de fait, la fin des écoles de musique.

J'espère que le lecteur m'a déjà pardonné ces énumérations un brin fastidieuses mais c'est l'époque qui veut cela, incroyablement riche en talents multiples. Pour aider le mélomane curieux mais déboussolé, il me reste à faire un point subjectif en proposant des pistes d'écoutes à tous les niveaux (les musiciens sont plus ou moins regroupés selon un ordre de notoriété - mais non de valeur - décroissant) :

  • On ne présente plus Claude Debussy et Maurice Ravel, deux valeurs définitivement sûres. Albert Roussel ne leur est guère inférieur et pourtant il est beaucoup moins joué. Vous seriez impardonnable d'ignorer ses Symphonies 3 & 4.
    Paul Dukas
    Paul Dukas
    Ernest Chausson
    Ernest Chausson
  • Paul Dukas (1865-1935) fut un maître exigeant et impitoyable avec celles de ses propres oeuvres qu'il jugeait faibles. Vous connaissiez l'Apprenti sorcier, écoutez sa Symphonie ou sa Sonate pour piano, du grand art ! Albéric Magnard (1865-1914) est à découvrir absolument, si ce n'est déjà fait : vous seriez à nouveau impardonnable d'ignorer ses Symphonies 3 & 4. Ernest Chausson (1855-1899) n'a pas écrit que le fameux Poème pour violon et sa Symphonie est aussi une merveille ! Il ne fait guère de doute que Henri Duparc (1848-1933) aurait mérité de figurer dans cette division d'honneur s'il avait pu composer à l'abri de défaillances mentales sévères. C'est en tous cas ce que démontrent ses seules oeuvres non détruites, en fait 17 mélodies (Invitation au Voyage, ici chantée par l'irremplaçable Gérard Souzay) toutes passées à la postérité. Une Sonate pour violoncelle & piano a été conservée et enregistrée, par contre quelques pages orchestrales attendent toujours de l'être.
  • Alexis de Castillon (1838-1873), Vincent d'Indy (1851-1931) - écoutez Poème des Rivages, une belle oeuvre tardive (1921) - , André Gedalge (1856-1926), injustement oublié (étonnant Concerto pour piano), Gabriel Pierné (1863-1937), Guy Ropartz (1864-1955) - à découvrir ! - , Déodat de Séverac (1872-1921), Reynaldo Hahn (1875-1947) - qui n'a pas écrit que l'opérette Ciboulette, ce beau Quintette à clavier , enregistré par le Quatuor Parisii et Alexandre Tharaud, est là pour vous le rappeler ! - , Jean Cras (1879-1932) et Paul Le Flem (1881-1984), ont été beaucoup moins gâtés par le sort mais ils sont en rattrapage (surtout Séverac, Pierné et Cras, davantage enregistrés).
  • Les autres ne sont pas encore sortis du purgatoire et la plupart de leurs oeuvres restent à découvrir : Sylvio Lazzari (1857-1944), Pierre de Bréville (1861-1949), Maurice Emmanuel (1862-1938), Charles Bordes (1863-1909), Georges Martin Witkowski (1867-1943), Henri Rabaud (1873-1949), René de Castéra (1873-1955), Max D'Ollone (1875-1959), Gustave Samazeuilh (1877-1967), Paul Ladmirault (1877-1944), Gabriel Dupont (1878-1914), André Caplet (1878-1925) et Philippe Gaubert (1879-1941). Ne passez pas distraitement à côté de ces noms peu connus, ce serait prendre le risque de manquer d'authentiques coups de coeur !

Les débuts de l'ère moderne

Maurice Ravel
Maurice Ravel
Albert Roussel
Albert Roussel
Florent Schmitt
Florent Schmitt
Charles Koechlin
Charles Koechlin

L'entrée de la France en modernité s'est faite par plusieurs portes :

  • Les historiens, aimant marquer solennellement l'avènement d'une ère nouvelle, considèrent que c'est le Prélude à l'Après-Midi d'un Faune (1894) de Debussy qui a le plus contribué à préparer les oreilles à une perception musicale moderne.
  • On pourrait s'étonner qu'il ait fallu 16 années supplémentaires pour que Maurice Ravel, Albert Roussel, Charles Koechlin et le dernier Fauré embrayent mais ce serait oublier que l'oeuvre de Debussy, toute novatrice qu'elle fut, était surtout l'incarnation de l'impressionnisme en musique, un courant essentiellement français qui n'a pas mobilisé autant d'artistes qu'en peinture.
  • Un anticonformiste, Erik Satie (1866-1925), a particulièrement défrayé la chronique, par ses excentricités quotidiennes mais aussi musicales. Allergique à toute formation rigoureuse, il en a décontenancé plus d'un, anticipant le courant minimaliste de 70 ans. L'intelligentsia musicale n'a accordé que peu de crédit à ce musicien hors norme. Pourtant, Claude Debussy, un temps condisciple de Satie, a marqué son intérêt pour les Gymnopédies en en orchestrant deux. Plusieurs pianistes renommés (dont l'inusable Aldo Ciccolini) ont même enregistré l'oeuvre intégrale. Plus tard, les musiciens du Groupe des Six avoueront, sans honte, qu'ils ont apprécié le courant d'air frais que Satie avait insufflé à un système volontiers conservateur.
  • Le Groupe des Six, un nom évoquant volontairement le Groupe des Cinq russes, eut essentiellement pour vocation de réagir autant contre le wagnérisme que contre son antidote, l'impressionnisme. Très influencés par les idées d'Erik Satie et de Jean Cocteau, Louis Durey (1888-1979) - qui se retira du groupe en 1921 -, Georges Auric (1899-1983), Arthur Honegger (1892-1955) - en fait, suisse - , Darius Milhaud (1892-1974), Germaine Tailleferre (1892-1983) et Francis Poulenc (1899-1963), entreprirent d'alléger leur musique voire de la pimenter de brins de fantaisie. Entre tous, c'est assurément Francis Poulenc qui a connu le meilleur sort, singulièrement Outre-Manche, où il est carrément vénéré à l'égal de Saint-Saëns. La diversité des styles empruntés par les membres du groupe en a fait douter plus d'un qu'il ait pu réellement avoir vocation d'école et de fait il s'est éteint, de mort naturelle et sans réelle succession, aux exceptions notoires de Henri Sauguet (1901-1989) et de Jean Françaix (1912-1997) dont les oeuvres continuent de plaire à un public distingué mais peu exigeant.
  • Jacques Ibert (1890-1962), que vous découvrez dans ses belles Escales, a longtemps conservé un pied dans l'impressionnisme avant de s'évader vers une musique proche de celle de Sauguet comme dans ce pétillant Concertino (plages 11 à 13). Son austère contemporain, Georges Migot (1891-1976), attend toujours qu'on veuille bien se pencher sur son oeuvre symphonique (13 Symphonies ! ) : Zodiaque , ici dans la version pour piano, est une merveille à découvrir sans attendre. Nul ne sait comment aurait évolué l'art déjà si personnel de Lili Boulanger (1893-1918) si elle avait vécu au-delà de ses 25 printemps. Sa Vieille Prière bouddhique est toute de fausse simplicité. Sa soeur, Nadia Boulanger (1887-1979), cessa de composer à la mort de Lili. Elle se reconvertit dans l'enseignement, animant - pendant 58 ans (!) - le Conservatoire américain de Fontainebleau, une institution qu'elle a quasiment portée à bout de bras (plus de 1200 élèves, d'Aaron Copland à Philip Glass en passant par Grażyna Bacewicz, ont été admis aux stages de perfectionnement de Mademoiselle Boulanger). Quant à Jean Rivier (1896-1987), il a vécu tellement longtemps entre deux siècles qu'il a fini par sombrer dans l'oubli des uns et des autres. Emile Goué (1904-1946) a vécu bien moins longtemps et son sort ne fut guère plus enviable alors que ses oeuvres pour piano sont si belles.
  • Edgard Varèse
    Edgard Varèse : L'oeuvre pour orchestre
    Edgard Varèse (1883-1965) fut le compositeur français le plus radicalement moderne de la première moitié du 20èmesiècle. Ingénieur de formation ne désespérant pas de maintenir deux casquettes en équilibre sur sa tête, il dut quitter son pays pour les Etats-Unis afin de trouver les moyens d'expression dont il rêvait. Reconnaissant, il écrivit ce pur chef-d'oeuvre qui a pour titre Amériques. Ne négligez pas pour autant Arcana, Deserts, Nocturnal, Ecuatorial, Tuning up, etc, toute l'oeuvre pour orchestre tenant en fait sur 2 CD. Offrez-vous un jour cette folie, dirigée par Riccardo Chailly, et persévérez, vous ne le regretterez pas car c'est le genre de cadeau qu'on conserve toute une vie. Il existe une version économique parue chez Naxos.

La seconde moitié du 20ème siècle

Messiaen (à droite), élève de Dukas
Messiaen (à droite), élève de Dukas
La classe de Messiaen
La classe de Messiaen

Il était dans l'ordre des choses qu'Olivier Messiaen (1908-1992) marque de son empreinte toute la musique française d'après-guerre, d'autant qu'il fut un professeur influent. Il compta parmi ses élèves (français), Pierre Boulez (1925- ), Betsy Jolas (1926- ), François-Bernard Mâche (1935- ), Michèle Reverdy (1943- ), Alain Louvier (1945- ), Gérard Grisey (1946-1998), Tristan Murail (1947- ), Michaël Levinas (1949- ), ... . Tous ont connu des destins artistiques assez différents.

  • Pierre Boulez, a priori le plus doué des élèves de Messiaen, persuada les musiciens de sa génération qu'il ne serait de musique contemporaine digne de ce nom que celle qui généraliserait les "recherches" d'Anton Webern (1883-1945) en extrapolant le principe sériel à tous les paramètres sonores. Il préconisa d'y ajouter l'intervention d'un hasard contrôlé et une spatialisation sonore, le tout éventuellement assisté par ordinateur. Pédagogue remarquablement éloquent, Boulez n'eut aucune peine à convaincre des élèves zélés, Alain Bancquart (1934- ), Jean Barraqué (1928-1973), Philippe Hurel (1955- ), ..., d'adhérer à ce vaste projet expérimental, si bien qu'au total ce sont deux générations de musiciens français qui se sont largement fourvoyés, du moins privés d'auditoire : dépités, ils ont préféré incriminer un public taxé de surdité voire de paresse intellectuelle plutôt que remettre en cause le principe même d'une expérimentation qui échouait à proposer grand-chose de franchement convaincant. Tous ces musiciens - même ceux appartenant au courant spectral, Grisey et Murail - en théorie une réaction au sérialisme mais qui, en pratique, n'a fait que remplacer une utopie spéculative par une autre - furent assurément experts en écriture syntaxique mais déconnectés de la sémantique de leur art. Un autre élève doué de Messiaen, Jean-Pierre Guézec (1934-1971), a rapproché son oeuvre des techniques picturales abstraites, en particulier de Mondrian. Il est malheureusement mort trop jeune pour achever sa démonstration. Au bilan, le fait remarquable est qu'à l'aube du 21èmesiècle, l'oeuvre du maître Messiaen a survécu sans contestation possible à celle de tous ses élèves réunis. Pour davantage de détails, je vous renvoie, une fois pour toutes, à une analyse toute personnelle, parue dans Musique 2001. Si vous tenez à vous faire votre opinion sur la musique de Boulez - ce qui serait tout à votre honneur ! - , commencez par la fin avec une oeuvre relativement récente, Anthem 2, pour violon solo et électronique. Après quoi vous remonterez le temps jusqu'au fondateur Marteau sans Maître mais là, je ne garantis plus rien.
  • Quelques musiciens contemporains de Messiaen, trop âgés pour se laisser impressionner, ont naturellement échappé au désastre hyper sériel : André Fleury (1903-1995), André Jolivet (1905-1974), Henri Dutilleux (1916- ), Jean-Yves Daniel-Lesur (1908-2002), Maurice Ohana (1913-1992), Marcel Landowski (1915-1999) - évoqué par ailleurs - , le surprenant Patrice Sciortino (1922- ), Claude Ballif (1924-2004), Charles Chaynes (1925- ), Jacques Castérède (1926- ), ... .
  • L'épisode postsériel n'a pas frappé que la France, simplement c'est en France qu'il a connu les développements les plus extrêmes. Ailleurs dans le monde, beaucoup de musiciens instruits dans le dogme ont réagi, Pärt, Gorecki, Penderecki, Rautavaara, Rochberg, Schnittke, ... , chacun forgeant un langage personnel qui renoue avec une forme de tradition et un public de plus en plus large. En France, cette réaction fut moins systématique car elle présentait un risque d'interdiction de diffusion par les canaux officiels (radios, concerts subventionnés, commandes étatiques, presse spécialisée ou non). Quelques musiciens firent néanmoins preuve d'un courage particulier, à cet égard : Aubert Lemeland (1932-2010), Guy Reibel (1936- ), Gilbert Amy (1936- ), Jean-Claude Risset (1938- ), Hugues Dufourt (1943- ), Jean-Louis Florenz (1947-2004), Renaud Gagneux (1947- ), Philippe Hersant (1948- ), Michaël Levinas (1949- ), Édith Canat de Chizy (1950- ), Laurent Petitgirard (1950- ), Olivier Greif (1950-2000) - portraituré par ailleurs - , Philippe Manoury (1952- ), Pascal Dusapin (1955- ), Philippe Leroux (1959- ).

Place aux jeunes

Aujourd'hui, sous l'impulsion des musiciens de la nouvelle génération - la plupart quadragénaires maintenant ! - le paysage a heureusement bien changé : la musique française connaît un nouveau printemps. Les tendances se multiplient comme partout dans le monde : cela ne signifie nullement que les chefs-d'oeuvre soient automatiquement au rendez-vous mais tout simplement que les conditions sont réunies pour permettre une nouvelle diversité.

Quelques valeurs sûres ont des choses à dire à vos oreilles, jugez plutôt et osez encore dire, après cela, que la musique contemporaine est ennuyeuse :

  • Anthony Girard (1959- ) détient ce pouvoir pas si fréquent d'écrire une musique sachant rester actuelle alors qu'elle aurait pu être écrite dans un passé indéterminé. Seuls les grands artistes sont capables d'une telle performance : écoutez l'éloquent Sol-Soleil pour piano et flûte - quelle sonorité ! - ou encore ce Magnificat, pour hautbois & cordes.
  • Marc-André Dalbavie (1961- ) a 50 ans cette année mais vous ne trouverez pas grand monde pour le lui souhaiter, officiellement j'entends. Elève de Boulez, un temps pensionnaire à l'Ircam, il a heureusement balancé ses cahiers au feu. Ses résidences aux Etats-Unis (Cleveland et Minneapolis) ne sont sans doute pas étrangères à l'élargissement de son style, comme en témoigne son Concerto pour piano, joué par Leif Ove Andsnes en personne - à ne manquer sous aucun prétexte ! Ecoutez aussi le dernier des 6 Sonnets, chanté par Philippe Jaroussky ou encore Les paradis mécaniques, pour orchestre.
  • Nicolas Bacri (1961- ) a, comme Dalbavie, déserté l'atonalité de ses études, imposant un style résolument ancré dans la tradition. Très prolifique, on n'a que l'embarras du choix dans les illustrations sonores : Concerto pour violon n°3, Sonata notturna, Trio n°2, La Follia - une ambitieuse chaconne pour violoncelle et orchestre - et enfin, 100 ans après Prokofiev, une pétillante Symphonie classique (n°4), à la manière de Haydn, et une Symphonie n°6, nettement plus tourmentée. Ses Quatuors à cordes 3 à 6 ont été magnifiquement enregistrés par le Quatuor Psophos, un CD particulièrement recommandable.
  • Emmanuel Séjourné (1961- ) écrit une musique facile mais de qualité: Concerto pour marimba.
  • Brice Pauset (1965- ) cultive la raréfaction du son pour mieux le mettre en valeur : Perspectivae Sintagma en offre un bel exemple.
  • Thierry Pécou (1965- ) propose une musique vitaminée dont l'énergie pulsée convient aux déprimés qui souhaitent réagir. Quelques CD sont parus qui valent le détour : La Symphonie du Jaguar, L'Oiseau innumérable, Kalunga (plage 7). L'Homme armé, pour 8 voix solistes et sur un thème célèbre de la Renaissance, est une oeuvre plus austère mais éloquente.
  • Guillaume Connesson (1970- ) se réclame des influences les plus diverses mais l'auditeur perçoit d'emblée son admiration pour le John Adams des Chairman Dances. Deux CD sont parus, l'un chez Chandos proposant la Trilogie cosmique, l'autre - à mon sens plus intéressant et curieusement intitulé "Techno Parade" - chez RCA, proposant de plus courtes pièces d'une joyeuse diversité (Sextuor, Disco Toccata). Voici encore pêle-mêle quelques pièces qui complètent le portrait d'un musicien habile et décontracté : Les Chants de l'Atlantide, Les Chants de l'Agartha.

Vous poursuivrez votre itinéraire-découvertes en écoutant les oeuvres d'autres musiciens dignes d'intérêt, Bernard Cavanna (1951- ), Gérard Pesson (1958- ) - superbe ce Nebenstück ! mais attention tout n'est pas si simple et l'Opera pastorale vous donnera davantage de fil à retordre - , Pascal Zavaro (1959- ), Bruno Letort (1963- ) - le postmoderne français - , Thierry Escaich (1965- ), Éric Tanguy (1968- ), Jean-Louis Agobet (1968- ) et Jérôme Ducros (1974- ) auquel une chronique particulière est consacrée sur ce site.

Le grand public qui suit les médiatiques Victoires de la musique sait qu'une section "musique contemporaine" a déjà couronné quelques musiciens de cette nouvelle vague, Thierry Escaich (3 fois), Éric Tanguy, Bruno Mantovani, Philippe Hersant (2 fois), Pascal Dusapin. J'espère vous avoir convaincu qu'il reste beaucoup d'autres talents à décorer.

Guillaume Connesson
Guillaume Connesson
Eric Tanguy
Eric Tanguy
Thierry Escaich
Thierry Escaich
Boulez
Thierry Pecou

L'opéra français

L'opéra français a connu trois âges d'or : j'ai mentionné la tragédie lyrique, je ne me suis pas attardé sur le célèbre opéra romantique - Berlioz et Gounod mais aussi Saint-Saëns, Bizet, Massenet, ... - par contre, j'insiste sur un répertoire très particulier qui a davantage besoin de publicité car il est rarement présent sur scène. Il concerne des musiciens de la fin du 19ème siècle n'ayant souvent écrit qu'une seule oeuvre mais de qualité : Ariane et Barbe-Bleue (Dukas), Pénélope (Fauré), Yolande, Bérénice et Guercoeur (Magnard), Le Roi Arthus (Chausson), Fervaal (d'Indy), Padmavâti (Roussel). Ils ont été enregistrés dans des conditions d'excellence variable et une mise à jour ne serait pas superflue.

Plus près de nous, l'opéra français s'est fait rare, ne proposant plus que des oeuvres isolées, telles le splendide Dialogue des Carmélites (Poulenc) que vous seriez impardonnable de ne pas posséder en cinq exemplaires dans votre CDthèque, Saint-François d'Assise (Messiaen), les Nègres (Levinas) ou Médée (Reverdy), toutes oeuvres pour lesquelles des enregistrements récents existent.

Une diction parfaite est requise pour interpréter l'opéra français. Celui-ci a heureusement bénéficié, à toutes les époques, de quelques grandes et belles voix, de Georges Thill à Nathalie Dessay, en passant par Charles Panzéra, Gérard Souzay ou Régine Crespin. Il serait toutefois injuste de sous-estimer la diction d'artistes non francophones, telle Dame Felicity Lott qui a servi comme nulle autre la mélodie française (Les Chemins de l'Amour, de Poulenc) mais aussi le théâtre lyrique comme dans cette merveilleuse Grande Duchesse de Gerolstein. Décorons Félicity Lott de l'ordre du mérite, spécialement créé pour honorer les interprètes anglais qui ont tant fait pour la musique française.

L'orgue en France

L'improvisation plus ou moins notée est une longue tradition française : Marcel Dupré (1886-1971), Maurice Duruflé (1902-1986), André Fleury (1903-1995), Jean Langlais (1907-1991), Gaston Litaize (1909-1991), Jehan Alain (1911-1940), Jean Guillou (1930- ), ..., ont grandement contribué à élargir un répertoire que la Schola Cantorum avait déjà étendu sous les doigts de Alexandre Guilmant (1837-1911), Charles-Marie Widor (1844-1937), Louis Vierne (1870-1937) et Charles Tournemire (1870-1939). La famille Alain s'est illustrée comme nulle autre dans ce genre : Jehan, fils d'Albert, était le frère de Marie-Claire, d'Olivier et de Marie-Odile, les amateurs d'orgue comprendront. Aujourd'hui, Thierry Escaich, déjà mentionné, est une valeur sûre de l'improvisation.

La vie musicale en France

La vie musicale parisienne n'est plus ce qu'elle était il y a 100 ans lorsque la capitale offrait l'asile à des musiciens réputés, venus d'ailleurs (Stravinsky, Martinu, Honegger, ...). Paris n'est plus le nombril du monde musical et elle aura bien de la peine à combler son retard sur Londres ou New-York voire Helsinki.

Les plus hauts lieux de la culture musicale française se trouvent au niveau de quelques festivals d'été toujours bien notés. La France n'a aucune peine à convaincre les meilleurs artistes du moment de s'y produire, profitant au passage de la variété paysagère, du climat et de la gastronomie que l'on sait : Ambronay, La Chaise-Dieu, Beaune, La Roque d'Anthéron, Saintes, Fontfroide, Orange, Aix, ... . Je dois une publicité particulière au festival qui est, à mes yeux, le plus précieux de tous, celui de Radio-France à Montpellier. Il pratique une politique unique en son genre : des soirées payantes - mais à un tarif raisonnable - où l'on propose une multitude d'oeuvres rares et des concerts de midi et d'avant-soirée gratuits. Les archives, tenues à jour depuis la création de l'événement, en 1985, sont consultables en ligne, prouvant la singularité de cet événement annuel (Optez pour la consultation en pdf car le direct, futuriste à souhait, est impossible à suivre pour un profane).

L'association Musique Française d'Aujourd'hui et le Festival Présences se consacrent à la création contemporaine. Les concerts de ce dernier sont gratuits, une façon d'attirer un nouveau public vers des oeuvres actuelles mais aussi de mettre le doigt sur un problème de fond qui n'a pas encore trouvé sa solution finale : banaliser, au sens noble du terme, la musique de notre temps.

Deux éditeurs français, Chant du Monde et Harmonia Mundi, ont fait preuve d'une réelle ambition internationale. Toutefois il ne faut pas oublier des labels indépendants, tels Naïve et Alpha, qui pour être plus confidentiels n'en sont pas moins remarquablement actifs. Alia Vox distribue les enregistrements de Jordi Savall, ce qui n'est pas une mince affaire vu la cadence ahurissante entretenue par cet artiste d'exception. Enfin, toujours bon à savoir, le site d'achat en ligne, qobuz, propose à l'écoute une minute de chaque plage des CD qu'il distribue (malheureusement il ne les distribue pas tous ...).