Faits divers

La famille Garcia

La famille Garcia
La famille Garcia

Parmi les familles qui ont touché à tous les domaines de la musique, il en est une qui a ratissé particulièrement large en côtoyant, pendant trois générations, les meilleurs artistes de son époque. L'édition 2013 du Festival de Radio-France à Montpellier a particulièrement attiré mon attention sur quelques-uns des membres, plus ou moins illustres, de la famille Garcia.

L'arbre généalogique élagué, reproduit ci-contre, enfonce ses racines en Andalousie, au départ du couple que formèrent deux chanteurs célèbres en leur temps :

  • Manuel Garcia était en réalité né Manuel del Pópulo Vicente Rodriguez. On sait qu'en Espagne les patronymes ne sont jamais très simples, mélangeant les origines maternelle et paternelle, et dans ce cas précis, nul ne sait avec certitude d'où lui est venu le nom de Garcia et encore moins comment il a pu se faire que ce nom d'emprunt, parfaitement concevable à la scène, ait fini par s'imposer à l'état civil des trois enfants que lui a donnés Maria Sitches. Ténor mais aussi baryton, Garcia a créé le rôle d'Almaviva dans Le Barbier de Séville de Rossini (Rome, 1816). Très actif, il a composé près de 40 oeuvres scéniques bien oubliées aujourd'hui mais dont il est éventuellement possible d'entendre des bribes plus ou moins intéressantes (El majo, La declaracion & El poeta calculista, Don Quichotte ou cet air Yo que soy Contrabandista qui a gardé les faveurs de quelques interprètes dont Cecilia Bartoli, ce qui ne le rend pas plus passionnant pour autant). Il a également enseigné, créé sa propre troupe théâtrale et surtout contribué à imposer de par le monde les opéras italiens en langue originale. Bien que marié et apparemment jamais divorcé de la danseuse Manuela Morales dont il eut deux filles, il a refait l'essentiel de sa vie avec ...
  • La cantatrice Maria Joaquina Sitches dite "La Briones". Ils se sont rencontrés à Madrid, en 1802, lors d'une représentation de Las Bodas (Le Mariage) de Figaro de qui vous savez, ils ne se sont plus quittés, ont beaucoup voyagé de scènes en scènes, et eurent trois enfants aux destinée glorieuses, Manuel, Maria et Pauline.
Manuel Garcia Jr
Manuel Garcia Jr

Manuel Garcia junior (1805-1906), que son père destinait naturellement au chant, n'avait pas les dons de ses deux soeurs cadettes aussi s'orienta-t-il, dès ses 23 ans, vers l'enseignement, d'abord au Conservatoire de Paris puis à Londres où il acheva sa longue carrière. Il s'est illustré en adoptant un point de vue, novateur pour l'époque, qui prenait en compte la morphologie et la physiologie des organes phonatoires. Il fut, en particulier, l’inventeur d'un laryngoscope à miroir destiné à observer les cordes vocales. Au moins deux de ses quatre enfants ont conservé un contact étroit avec ses travaux sur la musique, s'occupant en particulier de l'édition de ses traités, mais l'histoire a fini par perdre leurs traces.

Maria Malibran
Maria Malibran

Maria Felicia Garcia a connu les horreurs d'une éducation paternelle insensément sévère et les honneurs de 10 années triomphales sur les scènes d'opéra du monde entier. Mariée à Eugène Malibran, son aîné de 28 ans, elle trouva le moyen de faire annuler ce mariage pour vice de forme (Le Consulat de France à New-York n'était pas compétent pour marier un ressortissant français et une espagnole) d'où elle put donner libre cours à sa passion pour le violoniste et compositeur belge, Charles-Auguste de Bériot (Un siècle plus tard, une autre Maria (Callas) vivra une aventure un peu similaire sauf que le violoniste était armateur). Maria garda cependant, à la scène, le surnom de "La Malibran" dont l'avait affublé un public idolâtre.

Maria et Charles-Auguste donnèrent le jour à Charles-Wilfrid, compositeur (On lui doit 4 Concertos actuellement introuvables) et surtout professeur de piano, au Conservatoire de Paris. Son élève le plus fameux fut Maurice Ravel qui lui dédia sa Rhapsodie espagnole. Le bonheur du couple fut pourtant de courte durée : Maria mourut prématurément, du mélange d'une chute de cheval et d'un refus de se ménager voire de se soigner. Veuf, De Bériot reprit sa carrière de violoniste-compositeur; aujourd'hui, on ne joue plus guère ses Concertos (10 au total, n°7, dont le n°1 dédié au premier Roi des Belges). Ecoutez encore cette Fantaisie opus 100, bien dans la veine virtuose de l'époque des Vieuxtemps, Wieniawski, Sarasate, etc.

Pauline Viardot
Pauline Viardot

Pauline Garcia a vécu une vie très différente. Elève de Franz Liszt, pour le piano, et de ses parents, pour le chant, elle vécut sous la rude contrainte de remplacer sur scène sa soeur défunte, ce qu'elle fit avec des moyens davantage dramatiques que vocaux. Berlioz appréciait peu son timbre de voix au contraire de Saint-Saëns qui lui dédia les plus belles pages de son opéra célèbre, Samson et Dalila (rôle de Dalila).

Pauline était aussi laide que sa soeur Maria était belle, cependant elle n'en fut pas moins courtisée par quelques brillants esprits dont Alfred de Musset et surtout Ivan Tourgueniev (1818-1883), qui en demeura discrètement amoureux les 40 dernières années de son existence. Giacomo Meyerbeer, Hector Berlioz, Charles Gounod, Camille Saint-Saëns, Frédéric Chopin, Georges Bizet, Edouard Massenet mais aussi Georges Sand et Clara Schumann virent en elle une des femmes les plus intelligentes de son temps et tous fréquentèrent ses salons dans l'hôtel particulier du quartier de la Nouvelle-Athènes (Paris, 9ème), à la Villa des Frênes (Bougival) ou en son château de Courtavenel.

Mélodies de Pauline Viardot
Pauline Viardot : Mélodies

Elle abandonna le chant, en 1863, lorsque sa voix déclina, se consacrant à la composition et à l'éducation (musicale) des quatre enfants qu'elle eut de Louis Viardot. Ses mélodies (Hai luli, Mélodies russes) sont davantage que simplement charmantes et l'enregistrement ci-contre, paru chez Analekta, est carrément passionnant. Elle a également écrit des opérettes passablement désuètes bien que ces extraits de Cendrillon témoignent d'une réelle noblesse d'inspiration. Ecoutez encore cette Romance pour violon & piano que vous comparerez bientôt à celle écrite par son fils, Paul. Deux de ses quatre enfants firent, en effet, preuve d'un talent musical certain :

 

 

  • Louise Héritte
    Louise Héritte
    Louise Héritte-Viardot, est une compositrice, pianiste et cantatrice française. Elle a épousé, Ernest Héritte, chancelier de l'ambassade de France à Berne. La plus grande partie de ses œuvres semblant perdue, ce n'est pas de sitôt que l'on entendra ses Cantates pour soli, chœur et orchestre (Die Bajadere, Wonne des Himmels, Das Bacchusfest) ou son opéra, Lindoro, joué à Weimar en 1879. Par contre, trois Quatuors à clavier nous sont parvenus et un enregistrement existe. Voici les Quatuors n°1 et n°2 qui témoignent d'un métier très sûr.
  • Paul Viardot est beaucoup moins connu et pourtant cette trop courte Romance pour violon & piano est digne de celle écrite par sa mère (cf supra). Mieux encore, la Sonate pour violoncelle & piano entendue à Montpellier est d'une réelle qualité, cultivant avec un réel bonheur le sens de la formule qui fait mouche. Le seul enregistrement disponible ne rend hélas guère justice à cette musique fougueuse.
  • Yvan Tourgueniev
    Yvan Tourgueniev
    Les deux autres filles du couple Garcia-Viardot, Marianne et Claudie, reçurent également une éducation musicale mais elles préférèrent le dessin et la peinture. Marianne n'a pas laissé de traces musicales sensibles sauf peut-être dans le coeur de Gabriel Fauré qui lui déclara sa flamme et demanda sa main, sans succès. Le dessin ci-contre est de Claudie, représentant les derniers instants de l'éternel soupirant de sa mère, Yvan Tourgueniev.

L'arbre généalogique du couple Garcia-Sitches n'est sans doute pas mort mais, ainsi qu'il arrive souvent, il ne porte plus les fruits d'antan. Qu'on se rassure, d'autres arbres prennent régulièrement la relève, surgis de nulle part.