Compositeurs contemporains

James MacMillan (1959- ), compositeur écossais

Le Royaume-Uni occupe, en musique, une position particulière entre une Europe Occidentale encore très imprégnée par les conséquences du sérialisme d'après-guerre et les Etats-Unis qui ont pris, depuis longtemps, leurs distances avec ce mouvement.  Le résultat est une étonnante diversité de courants musicaux que l'on retrouve d'ailleurs telle quelle dans la programmation des concerts londoniens.  Je ferai un de ces jours le tour de cette Grande-Bretagne-là mais dans l'immédiat, je pare au plus pressé : après avoir consacré un billet à l'anglais John Tavener (1944- ), je m'intéresse, à présent, à l'un des meilleurs jeunes musiciens écossais, James MacMillan (1959- ).

Ténébreux
James MacMillan
Ténébreux
BCBG
James MacMillan
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Notez que quand je dis jeune, c'est une façon de parler car il est déjà quinquagénaire !  Mais voilà, en musique, l'ère des génies "décagénaires", Mozart, Mendelssohn, Pergolèse, Korngold, …, semble révolue !  Il y aurait toute une étude à faire sur ce phénomène et je crains qu'elle ne fasse pas l'éloge de notre société de consommation.

Soit, revenons à notre musicien.  L'histoire de ses débuts à l'estrade est inhabituelle : la célébrité lui tombe inopinément dessus à l'occasion d'un concert des "Nights of the Proms".   Cette institution, unique en son genre, ne pouvait voir le jour qu'au Royaume Uni : un cycle annuel de "Concerts promenades" où l'on balade le public entre la musique classique la plus populaire et la plus moderne.  Il se termine invariablement par la légendaire "Last Night of the Proms" qu'à l'occasion, vous ne pouvez manquer sur votre téléviseur : 7000 personnes, entassées debout dans la grande salle du Royal Albert Hall de Londres, fêtent la musique dans un joyeux charivari de chapeaux et de drapeaux multicolores.  Cette dernière nuit est, en particulier, l'occasion d'entendre le tube victorien d'Edward Elgar (1857-1934), Pomp and Circumstance (n° 1, le plus célèbre mais sachez qu'il en existe 4 autres), repris en chœur par l'assistance.

Beaucoup d'œuvres très modernes ont été commandées et crées dans ce cadre et The Confession of Isobel Gowdie fut de celle-là.   En 1990, le programme l'avait insérée entre la 4ème Symphonie de Beethoven et le Concerto pour violon de Sibelius.  Le triomphe fut aussi immédiat qu'inattendu, projetant d'un seul coup MacMillan à l'avant-scène.

Le choix de la mise en musique de la tragique histoire d'Isobel Gowdie n'était sans doute pas anodin : MacMillan est un homme de convictions : politiques (très à gauche) et religieuses (catholiques dans un pays protestant).  Isobel fut une victime emblématique de l'inquisition façon insulaire, sous le règne de Charles II (1630-1685).   Accusée de commerce avec le diable, elle finit sur le bûcher, en 1662, sans avoir - apparemment - cherché à se défendre.   MacMillan a conçu la fin de son œuvre comme le requiem auquel elle n'avait pas eu droit.

Après ce premier succès très médiatisé, le compositeur confirma en écrivant pour la célèbre percussionniste malentendante (et même pas entendante du tout, un exploit !), Evelyn Glennie, un Concerto pour percussions et orchestre, Veni, veni Emmanuel (1992) qui a dépassé les trois cents exécutions en concert (Il en existe un deuxième).   Peu d'œuvres contemporaines peuvent en dire autant !   Enfin, en 1997, le grand violoncelliste Mstislav Rostropovitch lui a commandé un Concerto pour violoncelle qui l'a définitivement installé dans la notoriété.

MacMillan s'est cherché un style à ses débuts, empruntant un peu conventionnellement aux styles aléatoire et sériel tels que pratiqué en Pologne à l'époque et à son compatriote Peter Maxwell Davies (1934- ).  Il a ensuite trouvé sa voie à travers ce qui se faisait à l'Est, à l'écoute d'Alfred Schnittke (1934-1998) notamment.  Il s'est longuement expliqué sur sa manière de composer dans une série d'interviews (en anglais).

MacMillan et son épouse sont laïques dominicains, c'est dire s'ils sont spirituellement engagés.  La référence au sacré est, de fait, omniprésente dans son œuvre.  Cela va naturellement de soi en ce qui concerne les partitions religieuses, un Magnificat, un Miserere, des motets, un Stabat Mater, un Te Deum aux effectifs spatialisés (extraits 1 et 2) et plusieurs messes réellement destinées au culte (Mass).  Une Passion selon Saint Jean complète cet ensemble.

Plus étonnant, le compositeur revendique également une composante d'inspiration sacrée dans ses œuvres purement instrumentales mais il y a toutes les chances pour que vous ne vous en aperceviez pas.  

La musique symphonique de MacMillan oscille, en permanence, entre une tension voulue, entretenue par des cuivres très présents, pour ne pas dire envahissants et une détente habituellement confiée aux cordes ou aux voix. 

Dans ce domaine, quatre symphonies ont été créées à ce jour, n°1 "Vigil", n°2, n°3 et n°4 ainsi qu'une pléiade de Concertos pour divers instruments.  Outre les Concertos pour percussions et pour violoncelle déjà évoqués, citons des œuvres pour orchestre et :

C'est peut-être dans sa musique de chambre que l'on peut suivre - au mieux - la complexité de la musique de MacMillan, débarrassée des fracas inutiles. Deux très beaux Quatuors à cordes, Tuireadth pour clarinette et quatuor à cordes, deux sonates pour violoncelle forment à ce jour l'essentiel de cette production dont on espère qu'elle ne s'arrêtera pas là.  Je vous ai réservé deux pièces délicieuses : "Kiss on Wood" que l'on joue indifféremment au violon ou au violoncelle avec accompagnement de piano et A different World.

MacMillan a également écrit deux opéras, "Ines de Castro"(1995) et The Sacrifice (2006) qui n'ont franchi la Manche que très confidentiellement; je ne peux rien en dire.

L'œuvre de MacMillan a été enregistrée, à ses débuts, par le label suédois, BIS.  Ayant été repris par Naxos, une écoute n'est possible que via le site de ce dernier.  Les œuvres plus récentes ont principalement été enregistrées chez Chandos ou chez Hyperion et une écoute est à nouveau possible, beaucoup moins généreuse cependant. Voici la référence du site jpc qui suffit pour une initiation.

L'œuvre de MacMillan est d'une difficulté d'approche éminemment variable, dans tous les sens du terme : non seulement elle requiert une disponibilité d'écoute de la part de l'auditeur potentiel mais celui-ci risque d'éprouver de sérieuses difficultés à se procurer des enregistrements consultables (J'ai moi-même galéré pour vous en proposer car tout semble fait pour faire obstacle). Voici quelques pistes, sans ordre précis :

  • A Scotch Bestiary et le Concerto pour piano n° 2 ont été rassemblés sur un CD réjouissant composé d'œuvres récentes qui montre le compositeur en pleine dérision.  A Scotch Bestiary est une sorte de carnaval moderne des animaux en deux volets : les animaux en cage puis les autres.  Les tableautins de la première partie sont reliés par une "promenade" qui singe celle composée par Modeste Moussorgski (1839-1881) pour les intermèdes des Tableaux d'une Exposition (dont, coq-à-l'âne j'en conviens, vous ne manquerez pas les extraits vidéos mis à votre disposition sur le site jpc : Karajan en pleine action, fascinant !).  Un orgue chahutant s'insère dans l'orchestre virtuose pour produire une œuvre digne d'un dessin animé animalier. 
  • Le Concerto pour piano n° 2 est une commande du chorégraphe Christopher Wheeldon pour le New York City Ballet.  Composé pour piano et cordes, ce concerto est naturellement à l'abri des fracas sonores qui peuvent effaroucher l'auditeur néophyte dans d'autres œuvres pour orchestre.  Le troisième mouvement démarre sur un tourbillon dansant et s'achève sur une cadence grotesque pleine d'allusions ironiques à Chopin (1810-1849) et Donizetti (1797-1848) (Lucia di Lammermoor, air de la folie).  Des critiques grincheux ont jugé que MacMillan trichait en exploitant aussi habilement le fond ancestral de la musique écossaise mais le public qui avait reçu son lot de "Scottish Country Dances", ne fut pas de cet avis.  Ecoutez le début du troisième mouvement puis la fin et jugez.
  • La Troisième Symphonie trouve son inspiration dans une nouvelle, "Silence", de l'écrivain japonais Shusaku Endo.  L'œuvre surgit effectivement du silence, parsemée de micro intervalles qui lui confèrent une atmosphère orientalisante.  MacMillan traite l'orchestre, à l'extrême opposé de Bruckner (1824-1896), par petits groupes instrumentaux qui suffisent à développer une alchimie sonore envoûtante .  C'est une des plus belles œuvres écrites par le musicien, très différente de ce qu'il écrit habituellement.
  • Seven last Words of the Cross, cantate pour chœurs et cordes, est également une des plus belles réussites du compositeur.   L'œuvre a été enregistrée deux fois dans d'excellentes conditions.  Je ne résiste pas au plaisir de vous proposer un merveilleux extrait de la troisième parole, "Ecce Lignum Crucis in quo salus mundi dependit : Venite adoremus" , répétée trois fois, en grimpant dans l'aigu. On n'écrit pas beaucoup de musique comme celle-là dans une vie d'artiste. Je vous propose l'extrait en question dans la version, Hyperion, la plus facile à trouver mais sachez qu'il en existe une autre, très belle, parue chez Catalyst qui comporte les "Cantos Sagrados"en complément de choix. 
  • Strathclyde Motets. Ces superbes motets s'inscrivent avec tous les honneurs dans la grande tradition anglaise du chant d'église depuis Tallis et consorts.  Ce CD les couple avec la Missa Brevis et les Trois Repons des Ténèbres. 
  • Plus difficile, à présent : Quatuors à cordes 1 & 2.  A la différence de la symphonie, le genre du quatuor à cordes est resté extrêmement prisé des compositeurs du 20ème siècle.  Cependant, il n'autorise aucune tricherie car il met la musique à nu : impossible de distraire l'auditeur par quelques effets sonores garantis.  MacMillan se montre totalement à l'aise dans ces deux quatuors, n° 1 "Visions of a November Spring"et n° 2 "Why is this Night different ?".  Deux compléments de choix sur ce CD avec le court "Memento" pour quatuor et "Tuireadth" pour clarinette et quatuor.  Ce CD apporte une contribution essentielle au genre tel que pratiqué à la fin du 20ème siècle.
Scotland's Shame
Pamphlet : Scotland's Shame

MacMillan ne peut porter le titre de "Sir" comme son collègue et compatriote, Peter Maxwell Davies (1934- ), et c'est assurément une anomalie.  C'est pourtant MacMillan qui a composé une fanfare pour la joyeuse (?) entrée de sa Gracieuse Majesté au Parlement écossais, reconvoqué en 1999 après presque trois siècles de silence.  Il est vrai que quelques semaines plus tard, il n'y alla pas de main morte en publiant un pamphlet dans l'ouvrage collectif Scotland's Shame, critiquant sans détours l'anti-catholicisme religieux ambiant et comparant l'Ecosse à une Irlande du Nord, sans les fusils et les balles.  Ceci explique peut-être cela.

Fait rare pour un musicien contemporain, MacMillan a eu droit, à 34 ans, à une rétrospective de 18 de ses œuvres au Festival d'Edimbourg.  En 2005, le BBC Symphony Orchestra a remis le couvert au célèbre Barbican Hall de Londres lors d'un week-end d'hommage.

MacMillan est également chef d'orchestre.  Il dirige naturellement ses œuvres en priorité mais pas uniquement : j'ai trouvé un enregistrement de la symphonie n°1 du Néerlandais Marijn Simons (1982- ), une belle découverte !

Quand j'évoque MacMillan, je pense invariablement à son collègue estonien, Erkki Sven Tüür, non parce qu'ils sont nés la même année mais parce qu'ils ont réussi, chacun à leur manière, le virage de la modernité.  Tous deux écrivent des musiques intelligibles, stimulantes et appréciées du public.