Genres musicaux

Le Concerto pour violoncelle jusqu'à nos jours

Quiconque se basant sur les programmes des salles de concerts pourrait penser que les concertos pour violoncelle sont beaucoup moins nombreux que leurs homologues pour violon. L'analyse qui suit révèle que cela est vrai aux époques classique et romantique mais faux aux époques baroque et surtout moderne et contemporaine. Comme les sociétés de concerts symphoniques privilégient traditionnellement le répertoire écrit entre 1770 et 1920, ceci explique sans doute cela.

La nette pénurie observée entre 1770 et 1870 est d'autant plus étonnante que ni Mozart ni Beethoven n'ont découragé leurs contemporains ou successeurs en proposant quelques modèles intimidants. S'il fallait néanmoins trouver une explication, on pourrait peut-être incriminer le manque de connaissances techniques des compositeurs concernant la pratique du violoncelle. De fait, tant à l'époque baroque qu'au 19ème siècle, la plupart des concertos ont été écrits par des musiciens pratiquant effectivement l'instrument.

Pour ceux qui ne le pratiquent pas, comme il a déjà été dit à propos des concertos pour violon, les compositeurs tiennent sagement compte de l'accordage de l'instrument qui se fait par quintes réelles successives, dans l'ordre : do2, sol2, ré3, la3 (220 Hz). Les tonalités majeures qui permettent de jouer ces notes sur les cordes à vide sont sib M, fa M, do M et sol M et les tonalités mineures relatives sont sol m, ré m, la m et mi m. On comprend que la majorité des grands concertos romantiques soient écrits dans ces tonalités. Comme dans le cas du violon, les contraintes sont réelles pour les compositeurs, qui écrivent, de ce fait, rarement plus de deux oeuvres du genre.

Quoi qu'il en soit, une chose est sûre et rassurante, ces concertos partagent avec leurs confrères pour violon le privilège d'un lyrisme omniprésent : même au plus fort des déchaînements modernistes du 20ème siècle, les concertos pour violoncelle sont restés immédiatement consommables, même par le mélomane craintif. Cette particularité, jointe à la sonorité chaude et profonde de l'instrument, rendent ce répertoire particulièrement attractif et précieux.

L'instrument

Jordi Savall
Jordi Savall
Mstislav Rostropovitch
Mstislav Rostropovitch

Bien que né quasiment en même temps que le violon, dans les ateliers d'Andrea Amati, le violoncelle ne s'est imposé que relativement tardivement. Il a connu à ses débuts la concurrence de la basse de viole de gambe, considérée à l'époque comme plus aristocratique. La sonorité de la basse de viole ne manque effectivement pas de ce charme envoûtant et profond qu'on retrouve au contact des interprétations de Jordi Savall. Cependant, il s'est bientôt avéré que le violoncelle - avec quatre cordes seulement au lieu de six mais disposées autrement - permettait des prouesses techniques inaccessibles aux violes, dont on trouve les premiers exemples dans les sensationnelles suites pour violoncelle solo de Johann Sebastian Bach.

Les deux instruments vécurent de concert - si l'on peut dire - pendant quelques décennies avant que le violoncelle finisse par s'imposer, la virtuosité l'emportant sur l'expressivité. Hubert Le Blanc eut beau tenter un combat d'arrière-garde en publiant son traité, "Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle" (1740), rien n'y fit et la révolution française fit le reste, condamnant pour deux siècles un instrument jugé trop "noble". Depuis 50 ans, le mouvement baroqueux a remis en selle la famille des violes dans son répertoire d'origine.

L'ère baroque

A l'époque baroque, Antonio Vivaldi (1678-1741) fut parmi les premiers à inonder le marché de concertos pour violoncelle. Nicola Porpora (1686-1768), l'illustre violoniste Giuseppe Tartini (1692-1770) et Leonardo Leo (1694-1744) lui emboîtèrent le pas. Toutes ces oeuvres sont plaisamment virtuoses mais largement interchangeables, comme souvent à cette époque.

L'âge (pré)classique

CPE Bach
Truls Mörk dans CPE Bach

Le grand maître de l'époque préclassique, CPE Bach (1714-1788), a consacré à l'instrument quelques-unes de ses pages les plus réussies (Wq 170 à 172). Le brillant CD ci-contre confirme les excellentes dispositions du musicien à cet égard.

Georg Christoph Wagenseil (1715-1777), John Garth (1722-1810), Josef Mysliveček (1737-1781), Leopold Hofmann (1738-1793), Johann Baptist Vanhal (1739-1813), Luigi Boccherini (1743-1805), Carl Stamitz (1745-1801), Jean-Louis Duport (1749-1819) - excellent ! -, Anton Kraft (1749-1820), Jean-Balthasar Tricklir (1750-1813), Josef Reicha (1752-1795) - l'oncle d'Anton - , Giovanni Battista Viotti (1755-1824) qu'on connaissait surtout au violon, Ignaz Pleyel (1757-1831) ont développé un art plus convenu où chaque pièce éprouve quelque mal à se démarquer de ses semblables.

Luigi Boccherini
Luigi Boccherini

Vous retiendrez particulièrement, dans la liste précédente, les noms de deux violoncellistes fameux, l'italien Boccherini - le Tartini du violoncelle - et le français Jean-Louis Duport, dit "le Jeune", afin de le distinguer de son frère, Jean-Pierre, auquel Mozart a emprunté le thème de ses Variations KV 573.

On a longtemps pensé que c'était Jean-Pierre Duport qui avait créé les Sonates, opus 5, de Beethoven - avec le compositeur au piano - au motif que l'événement s'était produit à la cour berlinoise du roi de Prusse, Friedrich Wilhelm II, lui-même violoncelliste et élève de Jean-Pierre. On penche cependant actuellement pour Jean-Louis.

Joseph Haydn (1732-1809) a écrit quelques concertos qui sont restés au répertoire. Par contre, Mozart - qui "ne" pratiquait que le piano et le violon - ne s'est pas laissé tenter par le violoncelle.

Le romantisme

Jacqueline Du Pré
Jacqueline Du Pré

La sonorité ample et chaleureuse du violoncelle le rend particulièrement apte à traduire le lyrisme de la période romantique. Cependant on ne compte que fort peu d'oeuvres majeures à cette époque. J'aurais aimé toutes les illustrer par des interprétations de la grande Jacqueline Du Pré (1945-1987), trop tôt enlevée à notre admiration. Je ne l'ai retrouvée, en concert, en compagnie de son illustre époux, Daniel Barenboim, que dans l'emblématique Concerto de Sir Edward Elgar (1857–1934). Cette artiste radieuse a succombé à une sclérose en plaques ayant entravé son jeu dès 1971. Elle a finalement dû se résoudre à se séparer de ses deux Stradivarius, au profit de Yo-Yo Ma et Lynn Harrell (puis Nina Kotova, également compositrice : écoutez son concerto daté de 2000).

Les grands concertos romantiques sont signés Robert Schumann (1810-1856), Joachim Raff (1822-1882), Edouard Lalo (1823-1892), Camille Saint-Saëns (1835-1921) (joué ici par Stéphane Tétreault, un jeune prodige de 13 ans, à l'époque !) et surtout Antonin Dvorak (1841-1904).

Cette liste est hélas bien mince. Pour l'étoffer, il faut faire appel soit à des interprètes-compositeurs relativement peu connus tels les violoncellistes, Adrien-François Servais (1807-1866), Georg Goltermann (1824-1898), Karl Davydov (1838-1889) - un remarquable mélodiste - , David Popper (1843-1913), Wilhelm Fitzenhagen (1848-1890) ou Julius Klengel (1859-1933), soit à des personnalités inattendues telles l'homme de théâtre-bouffe, Jacques Offenbach (1819-1880) - en fait, également excellent violoncelliste -, son homologue britannique, Sir Arthur Sullivan (1842-1900), le célèbre violoniste Henri Vieuxtemps (1820-1881) ou, par deux fois, le pianiste virtuose, Anton Rubinstein (1829-1894).

Même l'avènement des écoles nationales n'a pas vraiment enrichi le répertoire et il a fallu attendre la fin du 19ème siècle et tout le 20ème pour que les choses bougent enfin.

La fin du romantisme et l'aube de la modernité

Julius Röntgen (1855-1932), Sir Edward Elgar (1857–1934) - pour mémoire - , Frederick Delius (1862–1934), Eugene d'Albert (1864-1932) - une réelle et agréable surprise - , Hans Pfitzner (1869-1949) - 3 concertos à découvrir - , Joseph Jongen (1873-1953), Donald Francis Tovey (1875-1940), Reinhold Gliere (1875-1956), Ermanno Wolf-Ferrari (1876-1948) - à découvrir également ! - , Ernst Toch (1887-1964) et Erich Wolfgang Korngold (1897-1957) offrent les exemples typiques de musiciens décédés après 1930 mais cultivant encore un idiome romantique.

Le véritable éveil du répertoire moderne pour violoncelle doit beaucoup à deux illustres interprètes, Pablo Casals (1876-1973) et surtout Mstislav Rostropovitch (1927-2007). Cet immense artiste a marqué le 20ème siècle de son empreinte, suscitant voire accompagnant de ses conseils la composition de nombreux concertos pour violoncelle : des amis intimes Prokofiev, Schostakovitch et Britten mais aussi de Dutilleux, Khachaturian, Lutoslawski, Schnittke, Shchedrin, Vlasov, Miaskovsky, Weinberg, Tichtchenko, Honegger, Penderecki, Lutoslawski, Gagneux, Sauguet, ..., la liste est impressionnante. Un coffret rétrospectif, paru chez EMI à prix doux (50 euros pour 26 CDS), propose plusieurs de ces oeuvres, jointes à quelques grands classiques. Brillant propose également, pour 20 euros, un album similaire de 10 CD (Série Russian Archives).

CD Cello Concerto 1
Davidov
CD Cello Concerto 2
Dohnanyi
CD Cello Concerto 3
Wolf-Ferrari

Les grands classiques de la modernité ont pour noms :

Bohuslav Martinu (1890-1957) - superbe !- , Serge Prokofiev (1891-1953), Arthur Honegger (1892–1955) - à découvrir d'urgence ! - et bien sûr, Dimitri Schostakovich (1906-1975).

Les petits classiques ne doivent pas être oubliés pour autant, en provenance de toutes les longitudes :

CD Cello Concerto 4
Honegger
CD Cello Concerto 5
Atterberg
CD Cello Concerto 6
Martinu

La seconde moitié du 20ème siècle

Les compositeurs demeurèrent actifs dans le genre après la deuxième guerre mondiale, se partageant entre esthétiques diverses,

CD Cello Concerto 7
Isang Yun
CD Cello Concerto 8
Pärt
CD Cello Concerto 9
Weinberg
CD Cello Concerto 10
Kox
CD Cello Concerto 11
Schnittke
CD Cello Concerto 12
MacMillan

Une (demi) génération plus près de nous, on retrouve un violoncelle toujours aussi actif : Benjamin Yusupov (1962- ) - à découvrir ! -, Bruno Mantovani (1974- ), Nina Kotova, Philip Glass (1937- ), Haflidi Hallgrimsson (1941- ) - un islandais intéressant - , Urs Flury (1941- ) - le fils de Richard Flury - , Geoffrey Burgon (1941-2010) - encore un anglais qui écrit sans complexe de la belle musique (plages 11 à 13 mais les autres plages pourraient vous séduire et tant pis si cela paraît commercial à certains) -, Gavin Bryars (1943- ) - excellent comme souvent- , Pehr Henrik Nordgren (1944- ), Anatolijus Senderovas (1945- ), Colin Matthews (1946- ), Ulrich Leyendecker (1946- ), Ivan Fedele (1953- ), Takashi Yoshimatsu (1953- ), Sally Beamish (1956- ) - une anglaise injustement méconnue - , Jouni Kaipainen (1956- ), Charles Roland Berry (1957- ) - un américain qui, comme Burgon, fait dans le "rétro", sans complexe mais avec talent - , James MacMillan (1959- ), Nicolas Bacri (1961- ), Eric Tanguy (1968- ), ... .

Les concertos déguisés

Richard Strauss (1864-1949) - incontournable Don Quichotte joué ici par deux monstres sacrés - , George Enescu (1881-1955), Gösta Nystroem (1890-1966) - un musicien suédois un peu perdu parmi les grands noms qui l'entourent et pourtant, ne passez pas trop vite votre chemin - , Serge Prokofiev (1891-1953) - avec une oeuvre à ne pas confondre avec le concerto déjà évoqué - et Benjamin Britten (1913-1976) ont écrit chacun une symphonies concertantes avec violoncelle solo obligé. Cette formule tombe apparemment en désuétude au point que je n'ai trouvé que peu d'oeuvres récentes de ce type et encore sont-elles bien légères : Friedhelm Döhl (1936- ) ou John Metcalfe (1964- ).

Des oeuvres concertantes moins ambitieuses mais bien implantée dans le répertoire ont pour titres, Kol Nidrei de Max Bruch (1838-1920), Variations sur un thème Rococo de Pyotr Ilyich Tchaïkovsky (1840-1893), Elégie de Gabriel Fauré (1845-1924), Saphic Poem de Granville Bantock (1868-1946) ou Schelomo - Rhapsodie Hebraïque d'Ernest Bloch (1880-1959). Plus près de nous, Notes on the Light de Kaija Saariaho (1952- ), Simi de Giya Kancheli (1935- ), Orion & Pleiades de Toru Takemitsu (1930-1996), The protecting Veil de John Tavener (1944-2013) - un tube planétaire dès sa sortie - ou Tryptique de Renaud Gagneux (1947- ); la liste pourrait s'allonger indéfiniment, nous faisant davantage sortir du sujet.

Les concertos-fantaisies

Quelques musiciens inclassables figurent à part dans cet inventaire :

Friedrich Gulda (1930-2000) - musicien étrange, dérangeant et relativement mal aimé - était incontestablement doué pour la composition même s'il n'a pas été apprécié comme tel. Ecoutez encore cette (d)étonnante cadence extraite de son concerto.

Heinz Karl Gruber (1943- ) et Gregor Hübner (1967- ) méritent également un petit détour.

Je ne sais trop où caser ce paragraphe mais Georg Matthias Monn (1717-1750) était bien oublié avant qu'Arnold Schönberg ne transcrive librement un de ses concertos pour clavecin à l'adresse de Pablo Casals. Aujourd'hui, la firme CPO s'intéresse de plus près à ce compositeur, ayant en particulier publié deux CD de musique instrumentale. Alexandre Rabinovitch a également arrangé à sa sauce un concerto de CPE Bach et les deux oeuvres citées sont présentes sur un CD enregistré par Marc Dobrinsky (plages 7 à 9 et 4 à 6, respectivement).

Le label Hyperion a apparemment commencé une nouvelle série consacrée aux concertos romantiques pour violoncelle, appelée à concurrencer celles, déjà bien avancées, consacrées au piano et au violon. Actuellement, seuls quelques albums ont paru.