Compositeurs contemporains

Alexandre Rabinovitch-Barakovsky (1945- ), compositeur russe

Alexandre Rabinovitch
Alexandre Rabinovitch

Alexandre Rabinovitch-Barakovsky est une exception remarquable dans le courant minimaliste originaire des pays de l'Est : alors que ses collègues Arvo Pärt (1935- ), Giya Kancheli (1935- ), Henryk Gorecki (1933- ), Vladimir Martynov (1946- ), ..., ont cultivé une esthétique contemplative où la lenteur prédomine, il a adopté un style beaucoup plus dynamique, immédiatement reconnaissable à sa pulsation rythmique énergisante, comme les boissons du même nom.

Né à Bakou en 1945, il a quitté son pays natal, en 1974, pour rejoindre Paris, dans un premier temps, puis Bruxelles, enfin Genève où il réside actuellement. On commente les méandres de cette trajectoire sinueuse.

On sait qu'en Union Soviétique, la musique sérielle était bannie par principe étatique. Contestataire dans l'âme, le jeune Rabinovitch se passionnait pour elle : pianiste virtuose, il jouait des œuvres de Stockhausen et Boulez (mais aussi de Ives et Messiaen ) chaque fois que l'occasion s'en présentait. Il ne resta cependant pas longtemps sourd aux conseils de son nettement plus orthodoxe professeur, Dimitri Kabalevsky (1904-1987), qui était d'avis que la voie postsérielle était sans issue. Restait à trouver comment exprimer l'impétuosité de sa jeunesse. Il l'entrevit lorsque Alexei Lubimov, un autre pianiste fort peu conventionnel - excellent, je précise - lui révéla In C de Terry Riley (1935- ). Ce pur produit garanti d'origine du minimalisme américain, le fascina au point qu'il entreprit de chercher dans cette voie les sources d'une inspiration future. C'était évidemment changer de dissidence d'où la décision de quitter son pays natal, sans regret apparent.

Sauf s'il était vraiment très mal renseigné, il était pour le moins étrange qu'il ait pensé s'installer à Paris : c'était, de fait, fuir un univers contraignant pour en rejoindre un autre qui l'était à peine moins, à une époque où Boulez régnait sans grand partage sur le paysage musical français. Ce séjour parisien, qu'il espérait radieux, lui réserva de sérieuses déconvenues d’autant que, toujours aussi contestataire, il ne fit rien pour arrondir les angles : à une époque où il était de bon ton d’écrire une musique hermétique, aux intitulés qui ne l'étaient pas moins - Explosante fixe ou autre Anarchipel - il n’hésita pas à proposer une musique hypertonale, immédiatement intelligible, dont les titres, La belle Musique, Pourquoi je suis si sentimental, Musique triste parfois tragique, … , brocardaient clairement les prétentions à la mode.

En 1980, lassé d’un milieu hostile et stérile, il quitta la France pour la Belgique. Je me souviens d'une soirée fort réjouissante, à la Salle Philharmonique de Liège, où on lui donna carte blanche pour concocter le programme (Octobre 1996, si je ne me trompe). Ce fut l'occasion d'entendre son adaptation (datée de 1972) d'un Concerto pour violoncelle de CPE Bach puis de l'entendre au piano dans sa propre musique mais aussi dans Mozart. Entre les mouvements, il se servait d'une petite chaufferette - silencieuse ! - apparemment pour désengourdir ses mains !

Aujourd'hui, il vit en Suisse, partageant son temps entre la composition et les concerts, au piano ou à la direction d'orchestre. Il y interprète aussi bien ses oeuvres que celles des grands classiques, Mozart en particulier.

Rabinovitch ne cache pas qu'il conçoit l'exercice de son art comme une aventure spirituelle. Il n'est certes pas seul à penser cela mais ce qui est remarquable, c'est qu'il en tire une musique éminemment dynamique, à l'opposé de ce qu'écrivent d'autres mystiques célèbres, Arvo Pärt et John Tavener. Par un mécanisme qui participe de l'incantation, Rabinovitch cherche, tel un anthropologue de la musique, à retrouver l'état de transe qui couronne les cérémonies initiatrices des sociétés traditionnelles. C'est sa façon de ressusciter, par la musique, les valeurs élémentaires de la vie en société. Au plan stylistique, des motifs tonals simples - parfois empruntés - sont martelés dans une progression irrésistible qui mène vers le climax sonore cherché. Ce style répétitif, quoique étonnamment varié dans les détails, exige l'adhésion pleine et entière de l'auditeur sous peine de rejet pur et simple, épileptiques s'abstenir !

Minimaliste, néo-romantique, néotonal, répétitif, tous les adjectifs ont été utilisés pour tenter de classer Rabinovtich mais il constitue quasiment une catégorie à lui seul. Le compositeur s'explique volontiers, en termes souvent fumeux, sur les motivations de son art et sur les moyens qu'il déploie pour atteindre des objectifs qu'il qualifie de théo et arithmosophiques. Voici un exemple de prose qui a effectivement émaillé la présentation d'un de ses concerts :

"...Dans ma musique, le principe répétitif est utilisé pour transmettre ces obsessions, et le nombre, en structurant cette répétitivité remplit le rôle de l’analyse. Cette méthode est en quelque sorte thérapeutique et peut se révéler comme un instrument de connaissance de soi-même..." (A. Rabinovitch-Barakovsky, Courants d’air, Liège, octobre 1996).

Au fond et bien plus simplement, la musicienne et pédagogue russe Maroussia Lemarc'Hadour (nom breton, mariage oblige !) fit remarquer au compositeur que son style incantatoire était sa réponse à la regrettable fugacité de l'acte musical, aussitôt commis, aussitôt évaporé.

Au-delà de toutes considérations extra musicales qui ont pu aider le musicien à créer, il me semble bien suffisant d'écouter cette musique sans arrière-pensée. On la découvre alors, jubilatoire, hédoniste même, en contraste énorme avec tant de musiques d'aujourd'hui qui se perdent dans l'ennui ou la morosité.

Rabinovitch et Martha Argerich
Avec Martha Argerich

Excellent pianiste, Rabinovitch s'est évidemment mis au service de son oeuvre, bientôt rejoint par le violoncelliste, Mark Dobinsky, et les pianistes, Alexei Lubimov, Anton Bagatov et surtout la grande Martha Argerich, un temps sa compagne. Ensemble, ils ont enregistré quelques-unes de ses plus belles pages pour clavier(s). Depuis 1996, il a intensifié son activité de chef d'orchestre.

Les enregistrements consacrés à son oeuvre sont généralement d'une qualité remarquable. Grâce soit, en particulier, rendue à la firme anversoise, Megadisc, d'avoir fait preuve d'une belle audace. On accordera également une mention "Bien" aux labels BIS et Naïve qui se sont occasionnellement intéressés à la musique de Rabinovitch. Voici l'essentiel des oeuvres disponibles en CD, regroupées par genre :

Piano(s)

Pianiste virtuose, il était normal que Rabinovitch compose pour son instrument de prédilection. Celui-ci rend à merveille le ruissellement continu d'une musique riche en guirlandes harmoniques.

  • Musique expressive... (1976).
  • Motif optimiste suivi de sa démystification et ainsi de suite (1976), un titre étrange faisant référence à la déconvenue parisienne : l'oeuvre passe, en effet, d'un mi majeur plein d'espérance à un mi mineur désabusé.
  • Pourquoi je suis si sentimental (1976).
  • Musique triste parfois tragique (1976), d'après l'Impromptu opus 90-4 de Schubert.
  • La Belle Musique n° 3 (1977) (plage 3). La Belle Musique n° 2 ne semble plus avoir été jouée depuis sa création au festival Alternativa de Moscou. Quant à la n° 1, elle a apparemment disparu du catalogue.
  • Musique Populaire (1980), pour deux pianos (d'après des motifs populaires, d'où son nom), Liebliches Lied (1980), pour piano à quatre mains (d'après des motifs de Brahms et de Schubert) et La Belle Musique n° 4 (1987), pour quatre pianos amplifiés.

Musique de chambre

  • Perpetuum mobile (1975), pour violoncelle & piano amplifiés.
  • Récit de Voyage (1976), pour violon, violoncelle, piano & percussions, une de ses plus belles réussites !
  • Requiem pour une marée noire (1978), pour soprano, piano et percussions.
  • Discours sur la Délivrance (1982), pour violoncelle et piano.
  • Trois Invocations (1996), pour quatuor à cordes et célesta amplifié.
  • Schwanengesang an Apollo (1996), pour violon, piano & célesta (plage 2).
  • Die Zeit (2000), pour 4 instruments amplifiés.

Grands ensembles

A partir de 1996, son intérêt croissant pour la direction d'orchestre a incité Rabinovitch à écrire des oeuvres pour des formations instrumentales plus étoffées. Plusieurs symphonies concertantes, faisant appel à des instruments inhabituels, ont effectivement vu le jour :

  • La cantate The Tibetan Prayer (1991).
  • Incantations (1996), Symphonie concertante pour piano et célesta amplifiés, vibraphones, marimbas, guitare électrique (!) et cordes.
  • Six Etats intermédiaires (1998), oeuvre symphonique basée sur le Livre tibétain des Prières.
  • La Triade (1998), Symphonie concertante pour violon amplifié & orchestre.
  • Jiao (2004), Symphonie concertante pour vibraphone, campanelli (carillon) & célesta amplifiés, clavinova (piano numérique) et cordes.
  • Maithuna (2005), Symphonie concertante pour orchestre.

Le catalogue de ses oeuvres fait également état de deux opéras, "Crimes et Châtiments" (1968), d'après Dostoyevsky et "Un Songe, un Fantôme, un Héros" (1986), d'après Eschyle. On serait curieux d'entendre ce que peut donner le style caractéristique de Rabinovitch, porté à la scène mais aucun témoignage ne semble exister.

Signalons enfin qu'un fan club existe qui se charge de vous tenir au courant des nouveautés.

Musicien essentiel pour les uns et accessoire pour les autres - voilà qui n'est pas nouveau ! - vous n'aurez d'autres perspectives que d'écouter et de vous faire une opinion. La mienne est faite, à vous de jouer !