Tour du monde

Tchéquie

Tchéquie
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La Tchéquie a vu naître un nombre impressionnant de musiciens de talent. N'a-t-on pas dit que ses habitants naissaient (jadis !) avec un violon sous l'oreiller, apprenant à lire la musique en même temps que leur langue maternelle ? On connaît la thèse, maintes fois défendue, que la musique d'un peuple est à l'image de sa langue parlée. Le tchèque, issu du slavon glagolitique, présente des richesses d'accentuation et d'intonation qui le prédisposent à inspirer une musique originale chez ses locuteurs et c'est bien ce qu'on observe, au plus haut niveau, dans l'œuvre, magistralement idiomatique de son plus grand compositeur, Leoš Janáček.

Note : les particularités d'accentuation de la langue tchèque sont un véritable casse-tête pour les traitements de textes occidentaux. Je ne pourrais garantir l'orthographe correcte de tous les noms propres qu'en y passant des heures dont je ne dispose malheureusement pas. Je prie les propriétaires de noms écorchés de pardonner ma négligence à leur égard. Je crois d'autant plus en leur indulgence que j'aurais pu, par facilité, opter pour une graphie allemande, largement répandue. L'orthographe des noms tchèques a, de fait, subi des altérations au cours de l'histoire, soit qu'émigré, le musicien tentait de se fondre dans sa société d'adoption (Rejcha devenant Reicha, à Paris et Černý devenant Czerny, à Vienne) soit que, resté au pays, il cédait à l'intimidation germanique faisant pression sur les milieux cultivés pour qu'ils abandonnent leur langue "bâtarde" et adoptent l'allemand (František Benda devint Franz Benda et Antonin Dvořák devint Anton Dvorak). Si je ne l'ai pas fait, c'est précisément parce que toute l'histoire de ce peuple - musicale mais pas seulement - a tendu vers l'émancipation au travers du respect de sa langue. Ajoutons que cette double identité a parfois été source de confusion dans plus d'une encyclopédie, comme lorsqu'on y confond Václav Jan Dusík (1760-1812) (qui se fit appeler Jan Ladislav Dussek) avec František Xaver Dušek (1731-1799) qui est sans rapport avec lui.

Au 18ème siècle, la Tchéquie était une pépinière de musiciens à tel point qu'on l'appelait le Conservatoire de l'Europe. On dénombrait, à l'époque baroque, des lignées familiales entières (instrumentistes ou compositeurs) : les Benda, Brixi, Kozeluh, Rejcha, Stamic, Vranicky, etc. Cette abondance fut bientôt la cause d'une surpopulation musicale entraînant l'exil d'une bonne moitié des musiciens formés. Dresde et Mannheim (mais aussi Paris, Moscou, Venise, …) furent des destinations de choix et il ne faut sans doute pas chercher ailleurs les raisons pour lesquelles ces deux cités ont pu se targuer, à l'époque préclassique, de posséder les meilleurs ensembles instrumentaux d'Europe.

Cette vague d'émigration complique l'inventaire des musiciens pouvant être considérés comme tchèques d'autant que leur(s) pays d'adoption ont souvent tenté de les nationaliser. Il paraît raisonnable, à cet égard, de s'en tenir au critère de décision prenant en considération non seulement l'origine géographique de chaque musicien mais surtout sa langue maternelle. Ne pas le faire conduirait à des affirmations inacceptables pour la plupart des amateurs de musique : sait-on, par exemple, que Gustav Mahler est bel et bien né en Bohême, une région qu'il n'a quittée que vers l'âge de 15 ans ? Toute sa musique est d'ailleurs imprégnée d'impressions de la jeunesse qu'il y a passée. Si Mahler comprenait le tchèque et sans doute le parlait, le fait demeure qu'il était issu d'une famille juive d'expression allemande installée en Tchéquie. Son émigration à Vienne a fait que vous fâcheriez n'importe quel autrichien en lui soutenant que Mahler n'est pas son compatriote.

Une larme d'histoire

L'histoire musicale de ce pays est indissociable de son histoire politico religieuse. La Tchéquie représente l'avancée la plus occidentale du monde slave. Entourée par quelques grands voisins aux traditions musicales avérées, l'Allemagne, l'Autriche et même la Pologne, elle a pareillement développé un art musical de qualité où fleure l'inimitable parfum slave. Elle est essentiellement constituée de deux régions, la Bohême et la Moravie, auxquelles il convient d'ajouter un petit morceau de Silésie, jouxtant la Pologne. Si la majorité des musiciens dont nous aurons à parler sont issus de Bohême, notez, dès à présent, que le plus illustre, Leoš Janáček, était morave.

Jusqu'à un passé récent, cette nation n'avait vécu que 20 années de paix dans l'indépendance, entre 1918 et 1938. Elle n'est devenue une république autonome que depuis 1993, date de son divorce à l'amiable avec le voisin slovaque qu'on lui avait artificiellement imposé à la fin de la première guerre mondiale. Le reste de son histoire, elle l'a passé à abriter, pendant des siècles, d'interminables querelles politiques et religieuses.

La Tchéquie s'est très tôt trouvée à la jonction de deux christianisations : la carolingienne qui prônait le chant grégorien latin et la byzantine qui tentait de se rapprocher du peuple en lui proposant une traduction de la Bible en vieux slavon. C'est de cette époque que datent quelques cantiques, Hospodine pomyluj ny (plage 3) & Svaty Václave, encore chantés actuellement, éventuellement adaptés au goût du jour. C'est au 10ème siècle que la Tchéquie a basculé dans le camp romain.

Casse-tête politico-linguistique
Casse-tête politico-linguistique

Au plan politique, ce pays s'est trouvé confronté à l'infiltration germanique, dès les années 1300 (Les territoires germanophones des sudètes, en bleu ciel ci-contre, servirent de prétexte à l'invasion hitlérienne en 1939). Le corollaire récurrent fut une tentative insistante de germaniser linguistiquement toute la Tchéquie. L'échec de la manœuvre ne fut définitif que beaucoup plus tard, au 19ème siècle, lors de l'éveil de la conscience nationale.

Au plan artistique, cette invasion eut pourtant ses bons côtés, mettant le pays au contact étroit du monde occidental. Ainsi Charles IV, fils de Jean de Luxembourg et deuxième roi de Bohême (de la dynastie des Luxembourg), était d'extraction germanique mais d'éducation française. Il fit venir à Prague en 1323, rien moins que Guillaume de Machaut, la première grosse pointure de l'histoire de la musique. Il était difficile de trouver une meilleure entrée en matière musicale, d'autant qu'avec Machaut c'était toutes les avancées de l'Ars Nova qui s'importaient. On allait enfin pouvoir entendre résonner les premières musiques gothiques dans les églises de Bohême.

Cette percée remarquable se trouva stoppée net par la campagne de Jan Hus (1375-1415). Bien avant Martin Luther (1483-1546), ce prêtre, recteur de l'Université de Prague à 32 ans seulement, développa les idées de l'anglais John Wyclif (1320-1384), concernant les erreurs de l'église romaine, de plus en plus oublieuse de ses vœux fondateurs. Hélas, le protestantisme naissant torpillait toute forme de développement musical, bannissant les instruments et la virtuosité vocale et n'autorisant plus, à l'église, qu'un chant homophone et syllabique. Le risque était réel de réduire à néant deux siècles de polyphonie naissante.

Le peuple - réagissant à l'envahisseur germanique et catholique - avait largement pris fait et cause pour la doctrine hussite. C'est d'ailleurs à Prague qu'un événement mineur (la défenestration de Prague) mit le feu aux poudres de la guerre de Trente Ans (1618-1648). L'épisode bohémien du conflit fut toutefois de courte durée : la bataille de la Montagne blanche (1620) vit, en effet, la défaite des nobles tchèques et signa le départ de la "recatholisation" de la Tchéquie sous l'autorité suprême des Habsbourg tandis que la guerre faisait tache d'huile en Europe.

Rodolphe II vu par Hans von Aachen
Rodolphe II vu par von Aachen
Le même vu par Arcimboldo
Le même vu par Arcimboldo

Prague devint, sous le règne de Rodolphe II, la perle d'Europe centrale. Ce monarque cultivé possédait l'une des plus riches collections de tableaux de maîtres plus un fameux cabinet de curiosités. Un brin fantasque, il accueillit à sa cour toutes sortes d'artistes (dont le peintre Arcimboldo) et d'inventeurs excentriques (quoique également les très sérieux astronomes Johannes Kepler et Tycho Brahe). Il y invita également quelques-uns des musiciens les plus importants du moment : les franco flamands Philippus de Monte (1521-1603) et Lambert de Sayve (1548-1614), l'allemand Hans Leo Hassler et le slovène Jakob Handl-Gallus (1550-1591) joignirent, de fait, leur talent à celui du compositeur local le plus en vue, Krystof Harant de Polzice (1564-1621).

Au terme de la guerre de Trente Ans, les Habsbourg, assurés de la reconquête catholique, quittèrent Prague pour s'installer durablement à Vienne. Certes les derniers protestants tchèques furent priés de se reconvertir ou de quitter le pays mais au moins, la musique respirait. La renaissance fit place nette au baroque et les musiciens tchèques, de plus en plus nombreux, prirent leur destin en main. Dans la présentation qui suit, chaque nom renvoie à un ou plusieurs enregistrements éventuellement disponibles.

L'époque baroque

Si Adam Vaclac Michna (1600-1676), Pavel Josef Vejvanovsky (1640-1694) et Václav Karel Holan Rovensky (1644-1718) sont des précurseurs un peu oubliés de nos jours, on ne peut en dire autant de Biber.

Né en Tchéquie, Heinrich Ignaz Franz von Biber (1644-1704) a fait toute sa carrière à Salzbourg. Ce musicien exceptionnel a écrit d'importants recueils pour le violon baroque (Les Sonates du Rosaire sont l'exemple le plus fameux), actuellement enregistrés à tour de bras. Elève du déjà célèbre Johann Heinrich Schmelzer (1623-1680), il surpassa son maître, devenant le premier violoniste étranger tenant la dragée haute aux italiens. Voici une Passacaille pour violon solo, jouée par l'excellente violoniste baroque, Hélène Schmitt. Biber a également écrit quantité d'œuvres vocales d'envergure et ses messes sont parmi les meilleures de l'époque baroque. Pour la petite histoire, Biber ne fut longtemps connu des mélomanes que pour une Battalia a 10, dissonante à souhait (attendez 120 secondes que la bataille commence véritablement !). Les ensembles baroques de la première génération mettaient volontiers cette page à leur programme. Bien jouée, comme dans l'extrait proposé (Ensemble Matheus), cette curiosité musicale n'a absolument rien perdu de son charme.

Jan Dismas Zelenka (1679-1745) appartient à la génération suivante. Originaire de Bohême, il finit ses jours à Dresde non sans avoir voyagé de Venise à Vienne pour parfaire sa formation. On peut penser que c'est pour l'excellent orchestre de Dresde qu'il a écrit ses meilleures pièces instrumentales. S'il est exagéré de comparer Zelenka à Bach ou même à Haendel, comme cela a pu être fait, il n'en demeure pas moins que ce musicien se range sans problème à égalité avec ses autres exacts contemporains, Telemann, Vivaldi et Rameau. Ses messes (plus de 20) et ses 3 oratorios démontrent l'étendue de son savoir faire contrapuntique (Missa dei Filii ).

Bohuslav Matej Cernohorsky (1684-1742) est un musicien difficile à évaluer : il paraît que, de son vivant, sa réputation surpassait celle de Zelenka. Précisons que cela ne prouve rien : l'histoire a connu d'autres jugements hâtifs, préférant, par exemple, Telemann à Bach. Hélas, l'essentiel de son œuvre manuscrite aurait disparu dans un incendie (Voilà ce qui arrive quand on oublie de faire des copies !). Un CD existe cependant qui propose le peu qui nous soit parvenu, de fait, de l'excellente musique.

Le (pré)classicisme

Les deux générations suivantes proposent une galerie de maîtres pas si "petits" que cela. La preuve en est donnée par ce Josef Antonin Planicky (1691-1732), largement inconnu et cependant auteur de surprenantes Cantates sacrées. Voici encore quelques noms et références, en vrac mais triés sur un volet plus ou moins fin :

Frantisek Tuma (1704-1774), Jan Zach (1699-1773), Jiří Antonín Benda (1722-1795), le plus célèbre d'une famille nombreuse dont deux frères compositeurs (Frantisek (1709-1786) et Jan Jiri (1715-1752), Florian Leopold Gassmann (1729-1774), Frantisek Xaver Dusek (1731-1799), František Xaver Brixi (1732-1771), Josef Mysliveček (1737-1781), dit "Il Divino Boemo", Jan Krtitel (Johann Baptist) Vanhal (1739-1813), Wenzel Pinchel (1741-1805), Jan Krumpholz (1742-1790), Carl Stamitz (1745-1801), Frans Antonin Rösler-Rosetti (1750-1792), Leopold Antonin Kozeluh (1747-1818), Pavel Vranicky (1756-1808) et son (plus modeste) frère Antonin (1761-1820), Frantisek Vincenc Krommer-Kramar (1759-1831), Jan Ladislav Dusik (Dussek) (1760-1712), à ne pas confondre avec Frantisek Xaver Dusek), Adalbert Gyrowetz (1763-1850), le naïvement pittoresque Jan Jakub Ryba (1765-1815), Jan Václav Křtitel Tomášek (1774-1850), Jan Václav Hugo Voříšek (1791-1825) et Jan Václav Kalivoda (1801-1866).

S'ils ne furent pas les plus nombreux, les émigrés vers Mannheim comptèrent parmi les plus actifs, bien servis par des instrumentistes de qualité, recrutés, vers 1750, par Carl-Theodor, prince éclairé du Palatinat. Frantisek Xaver Richter (1709-1789) et Jan Václav Stamic (Stamitz) (1717-1757) suivis à distance respectable par Antonin Fils (1730-1760) et Johann Christian Cannabich (1731-1798) jetèrent les bases du classicisme, créant quasiment de toutes pièces les genres cultes que seront pour toujours la symphonie (Richter : Grandes Symphonies (1744)) et le quatuor à cordes (Richter : Quatuors opus 5-n°1 à 6). Il convient de se réjouir de ce que l'excellent orchestre baroque néerlandais "The New Dutch Academy" ait entrepris de se consacrer à l'école de Mannheim. Les CD déjà parus chez Pentafone Classics sont, en effet, d'une qualité exceptionnelle. Voici deux extraits de symphonies de Stamitz et de Richter .

On insistera sur quelques musiciens importants, Antonín Rejcha (1770-1836), Karel Cerny (Carl Czerny) (1791-1857) et Ignaz Moscheles (1794-1870), qui eurent le bonheur de fréquenter Beethoven et d'en recevoir l'estime, le premier nommé dès les bancs de l'Université, à Bonn. Les enregistrements Hyperion des Concertos pour piano de Moscheles doivent prioritairement retenir votre attention. Jan Křtitel Václav Kalivoda (1801-1866) était un musicien prolifique bien oublié jusqu'à ce que la firme CPO s'intéresse à ses 7 Symphonies aux accents beethoveniens; elles devraient plaire à un large public. Un achat d'autant plus recommandable que l'interprétation de Christophe Spering est excellente.

Le réveil d'une nation

Il fallut attendre le 19ème siècle pour que la Tchéquie prenne conscience de ses valeurs nationales, en particulier du potentiel expressif de sa langue. C'est sans surprise par le biais de l'opéra que cette révolution s'est opérée, d'abord avec les œuvres plutôt banales de František Škroup (1801-1862) puis surtout avec celles de Bedřich Smetana (1824-1884), le véritable père du renouveau. Smetana n'a évidemment pas écrit que la Moldau ni que le cycle plus vaste, Má Vlast (Ma patrie), auquel cette pièce fameuse appartient. La Fiancée vendue et Libuse sont ses opéras les plus connus mais sa musique de chambre vaut également un sérieux détour.

Vous ne connaissiez sans doute pas Johann Joseph Albert (1832-1915) et vous avez survécu, cependant il a écrit de belles choses (Symphonie Columbus, Symphonie n°3 ou l'opéra Meister Ekkehard) qui méritent de revivre, ce qui est chose faite.

Antonín Dvořák (1841-1904) n'a nul besoin d'être présenté : il est avec son collègue russe, Peter Illich Tchaïkovski (1840-1893), l'un des chouchous des amateurs de musique romantique. Cela dit, il n'a pas non plus écrit que la Symphonie du Nouveau Monde ! Ses opéras (Rusalka, Jakobin, ...), ses oeuvres religieuses (Requiem & Stabat Mater) et surtout sa musique de chambre doivent être connus. On sait qu'il fut invité à diriger le Conservatoire de New York (1892-1895) et qu'il mit ce séjour à profit pour étudier les musiques noires américaines qui n'intéressaient guère de monde à cette époque. Sa 9ème Symphonie et son Quatuor américain (le 12ème) proposent un des tout premiers mélanges de genres de l'histoire de la musique savante, croisant deux traditions populaires a priori fort éloignées.

Si Vilém Blodek (1834-1874) et Josef Bohuslav Foerster (1859-1951) furent des satellites de moindre valeur, vous feriez bien de consulter l'oeuvre de Zdeněk Fibich (1850-1900), par exemple sa Symphonie n°3 dont les envolées lyriques ne manquent pas d'allure.

Leoš Janáček
Leoš Janáček

Si vous voulez vous poser en véritable connaisseur, c'est cependant au morave, Leoš Janáček (1854-1928), à peine plus âgé que Dvorak et tellement plus moderne, que vous devez réserver le maximum de votre considération. Cet artiste, unique en son genre, a réussi à rendre universel un discours pourtant complètement ancré dans les racines, le rythme et les intonations de la langue tchèque. Son oeuvre lyrique (Sarka, Jenufa, Katia Kabanová, De la Maison des Morts, La petite Renarde rusée, L'affaire Makropoulos, Le Journal d'un Disparu...), pourtant sans concession, est un modèle de sincérité et de modernité dramatique : un signe qui ne trompe pas, elle figure à l'affiche des théâtres du monde entier. Au CD exigez évidemment les versions en langue originale. L'œuvre instrumentale du compositeur vaut l'œuvre vocale (Sur un sentier herbeux pour piano, Quatuors à cordes 1 & 2, Sinfonietta, etc ... ). La musique de Janáček est toujours prête à surprendre ceux qui croient la connaître : à ce titre, elle est appelée à demeurer éternellement jeune.

Le 20ème siècle

L'exemple de Janáček n'a hélas pas été suivi par les meilleurs éléments de la génération suivante, Vitĕzslav Novák (1870-1949) et Josef Suk (1874-1935), ce dernier gendre et élève d'Antonín Dvořák. En rentrant nettement dans le rang, ils ont manqué leur entrée dans le siècle de la modernité. Karel Kovarovic (1862-1920), Julius Fucik (1872-1916), Oskar Nedbal (1874-1930) et Otakar Ostrcil (1879-1935) ne firent pas mieux, plutôt pire.

La modernité, on ne la trouvera que dans les œuvres diamétralement opposées de Bohuslav Martinů (1890-1959) et d'Aloïs Haba (1893-1973). Aloïs Haba fut un expérimentateur là où Martinu demeura sagement mais fécondement classique :

  • Haba a, en particulier, développé une technique en fractions de tons qu'illustrent quelques-uns de ses 16 Quatuors à cordes (plage 5). Le compositeur a étendu ses recherches au piano - forcément trafiqué - comme dans cette Sonate en quarts de tons. On raconte que lorsqu'on lui demandait s'il distinguait vraiment, à l'oreille, les sixièmes de tons dont il parsemait ses œuvres, il répondait invariablement qu'il faisait confiance aux interprètes !
  • Bohuslav Martinu fut (et reste !) un musicien extrêmement attachant : tôt émigré en France, il a pris des leçons chez Albert Roussel dont il a retenu une forme de motorisme caractéristique qui rend son oeuvre immédiatement reconnaissable (Ecoutez un extrait représentatif de ce Double Concerto ). On a critiqué, en hauts lieux, l'œuvre de ce musicien au double motif qu'elle fut pléthorique et d'essence néo-classique mais les mélomanes se fichent pas mal de l'avis de ces rabat-joie. Je ne peux que vous encourager à parcourir l'oeuvre immense de ce musicien. J'ai personnellement un faible pour la Passion grecque qui vient enfin d'être enregistrée convenablement sous la direction de Libor Pesek. C'est, sans doute, l'oeuvre de ce musicien que j'emporterais sur l'île déserte. Entre Haba et Martinu, le public a fait son choix à l'avantage évident du second nommé qui est assurément entré dans le club sélect des classiques du 20ème siècle.

L'invasion russe de 1948 a marqué une rupture dans la vie musicale de ce pays. Certains musiciens dont pas mal d'interprètes (Rafael Kubelík, Rudolf Firkušný, Jan Novák, ...) émigrèrent quand d'autres restèrent. Beaucoup d'artistes collaborèrent sans (états d')âme ni résistance au projet communiste, écrivant une musique facile ou pire, stéréotypée. Il n'est, de fait, pas facile de distinguer les artistes les plus valables :

Karel Rudolf (1880-1945) (Ecoutez ce joyeux Nonette), Ladislav Vycpalek (1882-1969), Pavel Bořkovec (1894-1972), Jaromír Weinberger (1896-1967), ... .

Seuls quelques artistes résistèrent dans l'ombre au prix d'une mise à l'écart : Zbynĕk Vostřák, Miroslav Kabeláč, Marek Kopelent, ... . Parmi eux, Miloslav Kabeláč (1908-1979) s'est véritablement imposé. Vous trouverez "Mystery of Time", opus 31 , un authentique chef-d'oeuvre en forme d'arche, dans le volume 11 de la Karel Ancerl Gold Edition, sans doute celui à acquérir en priorité. Quant à Vitezslava Kapralova (1915-1940), elle a hélas trop peu vécu pour matérialiser les espoirs que d'aucuns plaçaient en elle.

La musique tchèque a payé un lourd tribut à la barbarie nazie. Nombreux furent ceux qui se retrouvèrent à Terezin, antichambre d'Auschwitz : Erwin Schulhoff (1894-1942), Viktor Ullmann (1898-1944) (Essayez en priorité les Symphonies 1 & 2 et le Concerto pour piano), Pavel Haas (1899-1944) (Ecoutez aussi cette réjouissante Suite opus 13 pour piano), Hans Krása (1899-1944) et Gideon Klein (1919-1945).

Avec la génération suivante, nous faisons connaissance avec des compositeurs éventuellement toujours en vie sinon en activité : Václav Dobiáš (1909-1978) (Symphonie n°2 ), Jan Hanuš (1915- ) (Symphonie concertante, opus 31 ), Karel Husa (1921- ), Jarmil Burghauser (1921-1997) (Seven Reliefs pour orchestre ), Otmar Mácha(1922- ), Viktor Kalabis (1923-2006), Jindrich Feld (1925-2007), Zdeněk Lukáš (1928-2007), Antonin Tucapsky (1928- ), Ladislav Kubik (1946- ), Robert Platz (1951- ), Sylvie Borodova (1954- ), Pavel Novak (1957- ), Miroslav Pudlák (1961- ) et Jaroslav Krcek. Plus près de nous Ondrej Adamek (1979- ) propose quelques pages réellement novatrices, telles Kameny ou Endless Steps.

Soyons objectifs : aucun de ces artistes valeureux ne peut prétendre figurer parmi les grands génies de la musique, d'ailleurs la période glorieuse de la Tchéquie s'est achevée vers 1960. Personne aujourd'hui ne semble en mesure de la renouveler comme si d'avoir enfin acquis son indépendance totale avait subitement privé ce pays de l'une de ses sources d'inspiration.

Les interprètes tchèques

Les instrumentistes tchèques ont été de tous temps parmi les meilleurs. L'orchestre de la Philharmonie tchèque n'a jamais quitté le niveau d'excellence et il est quasiment incontournable pour l'interprétation du grand répertoire local (Smetana, Dvorak, Janacek, Martinu et Kabelac). Fondé en 1894, il a été dirigé par de grands chefs, dont Antonín Dvořák, Oskar Nedbal, Václav Talich, Karel Šejna, Karel Ančerl, Rafael Kubelík, Libor Pesek, etc. Le Conservatoire de Prague a d'ailleurs été une pépinière de chefs d'envergure. Outre ceux déjà mentionnés, on n'oubliera pas Jiří Bělohlávek, Zdeněk Chalabala, Zdeněk Mácal, Václav Neumann, Libor Pešek, Václav Smetáček, Walter Susskind, quel pays peut dire mieux ?

On accordera une mention spéciale à Karel Ančerl pour s'être dévoué à la cause de la musique moderne de son pays. Supraphon, le grand label tchèque, a complété le travail en rééditant fort à propos 42 CD constituant la Karel Ancerl Gold Edition. Un Volume 43 est venu ensuite couronner l'ensemble. Ces enregistrements datant des années 1960, la prise de son n'est certes pas optimale mais c'est cependant la source la plus accessible de musique tchèque du 20ème siècle.

Les ensembles instrumentaux et vocaux sont nombreux (Ars Rediviva, Madrigalistes de Prague, ...) et parmi eux, Musica Viva Pragensis se consacre essentiellement à la musique actuelle.

Les pianistes, Rudolf Firkusny, Josef Páleníček et Jan Panenka sont restés dans toutes les mémoires de discophiles. Bien qu'il soit fort peu connu, je ne peux taire le nom de Yvo Kahanek, ne fût-ce que parce qu'il a enregistré un superbe programme 100% tchèque qui devrait vous intéresser.

Les violonistes tchèques sont évidemment nombreux mais ils ont souvent préféré s'exprimer au sein de formations de chambre. Les quatuors Vlach, Talich, Vegh, Prazak, Kocian, Smetana, Dvorak, ..., appartiennent, de fait, à la légende du genre au 20ème siècle.

L'opéra tchèque a bénéficié de belles voix idiomatiques mais très peu ont véritablement émergé au niveau international. Seule Emmy Destinn (1878-1930) fut célèbre en un temps déjà lointain qui cultivait les grandes voix. Pour la petite histoire, elle refusa la demande en mariage du grand Caruso.

Prague organise chaque année au mois de mai le festival "Printemps de Prague". Fondé en 1946 par Rafael Kubelik, Rudolf Firkusny et Leonard Bernstein, il ne vécut provisoirement que deux ans, étouffé dans l'œuf par l'appareil soviétique. Il revit aujourd'hui, débutant chaque année (précisément le 12 mai) par l'interprétation du cycle "Ma Vlast" de Smetana (dont c'est la date anniversaire !) sous la conduite d'un chef chaque fois différent.

Outre Supraphon, les labels Praga et surtout 2HP privilégient la musique tchèque.