Genres musicaux

L'Opéra (I) : Conventions d'un Art total

Cette chronique est la première d'un ensemble qui en comporte quatre consacrées à l'opéra, un genre musical où Théâtre et Musique tentent une fusion attrayante sinon fascinante. La première partie rappelle les éléments constitutifs du genre opéra en insistant sur les codes et conventions qui le caractérisent et parfois l'encombrent. Les parties II, III et IV font un inventaire illustré des opéras plus ou moins connus et/ou significatifs, composés depuis les origines jusqu'à nos jours. Elles constitueront le complément indispensable à la présentation généraliste proposée en introduction.

Les études sur (l'Histoire de) l'Opéra (En français ou en traduction française, celles de René Leibovitz, Gustav Kobbé, John Warrack & Harold Rosenthal, etc) cèdent souvent à la tentation encyclopédique d'un inventaire définitif et complet. Un tel objectif est cependant hors d'atteinte tant le répertoire connu ou en attente de l'être est immense. Or, en matière d'opéra, l'exhumation d'une oeuvre inconnue demande du flair, de la chance, de la patience et de sérieuses compétences musicologiques, d'où un vaste répertoire dort encore dans les bibliothèques, en attente d'être redécouvert et édité en format exploitable.

Ces études livresques sont par nature incapables de faire entendre les oeuvres qu'elles décrivent et, en musique, c'est un inconvénient majeur. Si les oeuvres réputées essentielles sont présentes dans la mémoire auditive de tout amateur, il n'en va pas de même des oeuvres rares pour lesquelles des clés d'écoute apporteraient un complément bienvenu.

Par ailleurs, ces études s'attardent trop souvent sur des points secondaires, s'obstinant, en particulier, à relater le détail d'intrigues théâtrales indigentes - ce qui est hélas fréquent - quand un résumé aurait fait l'affaire. Un opéra repose plus sûrement sur un mythe universel que sur une simple histoire, aussi romantique soit-elle. L'histoire on s'en lasse et il me semble qu'on ne va pas à l'opéra pour se la faire conter fût-ce en musique; un fil conducteur suffit qui permet de s'accrocher à l'action quand l'intérêt musical faiblit, ce qui est fréquent sur la durée d'une oeuvre rarement courte. Le mythe, par contre, est éternel et il invite l'auditeur à réfléchir à la portée de ce qu'il voit et entend.

Note. La Tétralogie ("L'anneau du Niebelung") de Richard Wagner illustre parfaitement ce point de vue. Suivies au premier degré, les péripéties vécues par ses (nombreux) héros légendaires constituent un récit démesuré derrière lequel se cachent les vraies intentions de l'auteur, liées au pouvoir destructeur de l'argent et à l'émergence nécessaire d'un monde nouveau (Götterdämmerung, Le Crépuscule des Dieux). Reste que pour découvrir et méditer le sens profond de cette épopée, il faut la vivre corps et âme pendant une quinzaine d'heures de musique et de chant aussi tonitruants qu'enivrants. Cette oeuvre monumentale aux interprétations multiples (musicales et philosophiques voire politiques) demeure sans équivalent dans la littérature musicale et les spectaculaires sagas cinématographiques modernes ("Le Seigneur des ... Anneaux", ...) en sont des réminiscences lointaines. La Tétralogie de Wagner est analysée ici, sous toutes ses coutures.

Toujours en langue française, un ouvrage différent a retenu mon attention, il s'agit de "Opéras mythiques" d'Elisabeth Brisson (2014, Ellipse poche; 12 euros pour 744 pages, vous ne serez pas ruiné, d'autant qu'elles sont pensées et solidement argumentées bien au-delà de la simple narration des livrets). Il est particulier en ce qu'il se concentre sur 12 chefs-d'oeuvre bien choisis, Orfeo, Don Giovanni, Zauberflöte, Fidelio, Traviata, Tristan und Isolde, Boris Godounov, Carmen, Tosca, Pelléas et Mélisande, (Le Château de) Barbe-Bleue et Wozzeck. On peut discuter ponctuellement cette sélection et regretter, par exemple, l'absence du Rozenkavalier (de Richard Strauss), à première vue plus urgent que Wozzeck (d'Alban Berg), mais j'apprécie la présence, pas si évidente, de Fidelio (de Beethoven) et du Château de Barbe-Bleue (de Bartok).

Cet ouvrage propose et justifie une bonne échelle des valeurs essentielles mais, inévitable revers de la médaille, il ne se prononce pas sur les milliers d'opéras réellement composés de 1600 à nos jours. C'est cet espace vacant que cette chronique tentera de combler dans les parties II, III et IV. Dans l'immédiat et pour les (trop) nombreux néophytes que l'opéra intimide encore voire rebute, il semble utile de démonter quelques mécanismes du genre.

Les conventions qui lient l'Opéra

Il faut s'en faire une raison, l'opéra repose sur un ensemble de conventions théâtrales et musicales parfois dures à avaler. Celui qui refuse d'y adhérer n'est pas fait pour l'opéra et réciproquement et il ne faut pas chercher ailleurs l'origine des réticences voire des allergies que développent certaines personnes - même mélomanes - à son égard. Veuillez noter que le théâtre parlé connaît lui aussi des limites toutes les fois que des acteurs soucieux de se faire entendre crient plutôt qu'ils ne parlent, au risque de surjouer un rôle qui aurait apprécié qu'on le traite avec davantage de naturel.

Selon les époques, l'opéra s'est inventé (et s'est conformé à) toutes sortes de conventions plus ou moins contraignantes :

- L'époque (du second) baroque a cultivé un véritable engouement pour des voix de plus en plus aigües conciliant autant que possible puissance et agilité. Une conséquence assumée a été de "dégenrer" les rôles et de favoriser la mode des travestis. Ce fut l'époque des voix de castrat, remplacées ultérieurement, pour des raisons humanitaires évidentes, par celles de Haute-contre et de Contre-ténor, que l'amateur distingué est invité à ne pas confondre : 1) La Haute-contre (sic, travesti oblige), essentiellement active en France, est un ténor possédant une facilité d'émission dans tous les registres aigus, rendant imperceptible le passage de la voix de poitrine à celle de tête (Exemple : Reinoud Van Mechelen dans Rameau) et 2) Le Contre-ténor chante en permanence en voix de tête, dite de fausset. Plus répandu, il existe sous diverses variantes, essentiellement sopraniste et altiste selon la tessiture couverte (Exemples : Henri Ledroit, dans Charpentier, Philippe Jaroussky, dans Gluck, Jakub Józef Orliński, dans Hasse, Franco Fagioli, dans Porpora, ...). A noter que le travestissement fonctionne dans les deux sens et qu'il n'est pas rare que des (contre-)altos féminines endossent des rôles masculins (Exemple : Janet Baker dans Händel, Cecilia Bartoli et Simone Kermes dans Porpora, ...). Comparez les trois versions du même air d'Acis dans l'opéra Polifemo de Porpora, rappelez-vous qu'Acis fut l'amant de la belle Galatée et vérifiez que vous goûtez l'ambiguïté (a)sexuée du chant. Note. Ceci (trop) brièvement dit, ne vous risquez pas à débattre en public les nuances des voix baroques avec ce résumé pour seul bagage : même en haut lieu, le sujet fait débat chez des spécialistes qui peinent à s'entendre sur des variantes à peine discernables par le commun des mortels.

- L'incertitude dans l'attribution des rôles vocaux a progressivement gagné d'autres composantes du spectacle opératique, en particulier lorsque les partitions (et la dimension des salles) ont exigé des voix de plus en plus amples. Des contradictions sont alors apparues entre l'apparence scénique des chanteurs pourvus d'un "coffre" suffisant et le rôle que l'intrigue leur réservait. Pourtant, pourvu que le chant rayonne, aucun amateur d'opéra ne sourcille qu'un père soit à peine plus âgé que son fils bedonnant ou qu'il agonise sur scène en pleine forme vocale.

- Le chant à plusieurs intervenants simultanés (Duos, trios, quatuors, ...) est l'un des exercices favoris des compositeurs d'opéra et peu importe qu'ils entraînent des situations peu réalistes où les protagonistes superposent leur voix, se répondent ou s'ignorent alors qu'ils ne sont séparés que de quelques mètres. A nouveau, les amateurs ne prêtent aucune attention à ces étrangetés, la beauté du timbre et la puissance des voix les dédommagent par principe.

Amalie Materna dans Brunehilde
Amalie Materna créant le rôle de Brunehilde

L'opéra wagnérien a fourni des exemples historiques de telles incongruités : les rôles écrasants imaginés par Wagner exigent en effet des voix puissantes aux registres exceptionnels. A une époque où ces voix ont abondé (Richard Tauber, Hans Hotter, Jess Thomas, Jon Vickers (ici en duo avec Birgit Nilsson sous la direction d'un excellent chef, Eric Leinsdorf, qui les laisse respirer, énorme !), Wolfgang Windgassen, ..., Kirsten Flagstad, Birgit Nilsson, Martha Mödl, Astrid Varnay, Leonie Rysanek, Helga Dernesch, Régine Crespin, ...), personne n'aurait admis qu'on s'en passe et tant pis si la stature physique du Heldentenor ou de la Soprano dramatique s'avérait peu compatible avec leur emploi théâtral.

Le problème se pose différemment aujourd'hui où l'on veille davantage à la vraisemblance de la distribution des rôles qu'à la puissance des voix qui, de toutes façons, n'existent plus vraiment en l'état idéal (Cf ci-après).

les Statistiques du MET

L'opéra est une invention relativement récente que l'on situe, pour faire simple, vers 1600. En un peu plus de 400 ans, on a écrit des opéras par milliers mais la liste des oeuvres que l'on monte effectivement à la scène tient sur deux ou trois pages seulement. Les grandes Maisons d'opéra, soucieuses de maîtriser un budget en équilibre perpétuellement instable, sont en effet tentées de (re)programmer toujours les mêmes oeuvres, celles qui plaisent à un public conservateur peu demandeur de nouveautés.

Les oeuvres (dites) marginales sont dès lors rarement montées à la scène et quand elles le sont, c'est généralement sur des scènes de province, ce qui n'est nullement péjoratif car c'est leur façon d'exister autrement. Se maintenant rarement à l'affiche, ces productions confidentielles font heureusement l'objet d'enregistrements isolés pris en charge par des Labels discographiques aussi courageux qu'éclectiques et éventuellement de films musicaux diffusés par des chaînes spécialisées. Ces oeuvres négligées mais souvent dignes d'attention seront évoquées ultérieurement autant que les grands "tubes", parce que c'est l'une des vocations de ce site et que c'est justice.

Statistiques du MET
Statistiques du MET (En rouge les 4 "HITS")

L'étroitesse du répertoire des grandes maisons d'opéra est parfaitement attestée par un ensemble de statistiques tenues à jour. Les archives du MET (Le prestigieux Metropolitan Opera House de New York) sont éloquentes à cet égard : depuis 1883, date de la création de ce théâtre, 4 opéras ont battu tous les records de programmation : Aïda, La Bohême, Carmen et La Traviata (Retenez A, B, C et T si vous voulez briller dans les salons). Des statistiques récentes, recensant les productions postérieures à 2004/5 à travers le monde, sont tenues à jour sur le site operabase.com; il propose même un petit jeu interactif qui devrait ravir les amateurs.

D'une manière générale, si l'Europe privilégie Mozart et Verdi, l'Amérique du Nord plébiscite plutôt Puccini et Verdi : entre les saisons 1996-97 et 2006-07, le trio de tête reprend La Bohême (300 représentations), La Traviata (281) et (l'inattendue) Madame Butterfly (272). Bien sûr, le "Hit parade" change un peu chaque année mais tant que cela. On observe, par exemple, qu'au cours de la saison 2015-2016, les 10 opéras les plus fréquemment montés ont été : Traviata et Rigoletto (Verdi), La Flûte enchantée, Les Noces de Figaro et Don Giovanni (Mozart), Tosca, La Bohème et Madame Butterfly (Puccini), Carmen (Bizet) et Le Barbier de Séville (Rossini). Les maisons d'opéras "de seconde main", très nombreuses en Amérique du Nord, sont comparativement plus aventureuses et c'est vers elles qu'il faut se tourner pour voir et entendre des oeuvres rares et/ou contemporaines, en particulier de compositeurs nord-américains (Cf la 4ème partie).

Eléments constitutifs d'un opéra

L'opéra ambitionne d'être un spectacle total, mêlant la musique, le chant et la danse au théâtre des passions humaines. Une scénographie est censée l'habiller avec pertinence, goût et intelligence (Direction des acteurs, scénographie, décors, costumes, éclairages, ...), serrant l'action au plus près de sa vérité historique ou la transposant dans un monde plus actuel.

Atteint-il toujours cet objectif ambitieux ? Certainement pas car au bilan et indépendamment de toute mise en scène, fatalement changeante, peu d'oeuvres parviennent à combiner un livret consistant, une musique de qualité et un chant adapté (Orfeo, Don Giovanni, Carmen, Tristan und Isolde, Othello, Boris Godounov, La Bohême, Der Rozenkavalier, ...). Beaucoup d'autres ne réussissent que partiellement cet exercice périlleux mais, par bonheur, le public est tolérant si on lui garantit un chant digne de ce nom et/ou une mise en scène de qualité.

Concevoir un opéra n'est jamais une mince affaire et c'est assurément le compositeur qui est en première ligne car sans lui, pas d'opéra. Ceux qui ont décidé de se consacrer au genre (Rossini, Verdi, Wagner, ...) lui ont accordé l'essentiel de leur temps. Quant aux autres, qui n'en maîtrisaient pas forcément tous les rouages (Beethoven, Fauré, Debussy, Stravinsky, ...), ils se sont contentés de ciseler un petit nombre d'oeuvres, ne souhaitant pas renouveler trop souvent une expérience chronophage.

Qu'est-ce qui a motivé tant de musiciens à écrire des opéras, au total par milliers ? Dès que le genre est apparu, en Italie vers 1600, il a suscité un tel engouement au sein des cours princières que toutes ont voulu posséder leur théâtre afin d'y produire sans cesse de nouveaux spectacles. Une rivalité s'est installée entre Florence, Venise et bientôt Rome et Naples, qui a ensuite gagné le reste de l'Europe. Les musiciens de cour ne pouvant résister à la demande constante de leurs employeurs princiers, ils se sont souvent exécutés dans l'urgence donc avec des bonheurs divers.

Précisément, vers 1800, les musiciens ont conquis leur indépendance et ils ont cessé de produire des opéras sur commande, se réservant de n'en écrire que lorsqu'un nombre raisonnable de conditions leur paraissaient réunies. En conséquence, les oeuvres ont commencé à se raréfier sauf chez quelques musiciens qui en ont fait une spécialité pour des motifs allant de l'affinité personnelle pour le chant (Rossini, Bellini, Donizetti) à une réelle vocation théâtrale (Verdi, Wagner, Strauss). Quelques musiciens n'ont jamais touché au genre tel J-S Bach, essentiellement impliqué dans la musique d'église, ou Liszt, Chopin, Brahms, ..., très centrés sur la musique instrumentale.

Un opéra réussi maîtrise les contraintes qui pèsent sur chacun de ses composants, l'action, la scénographie, la musique et le chant. En voici un bref aperçu.

Le livret

Tout compositeur en quête d'opéra commence par chercher dans la littérature existante la relation d'une histoire présentant un intérêt historique, sociétal, dramatique, romanesque, ... . Elle puise idéalement aux sources d'un thème suffisamment intemporel pour supporter les conventions du genre théâtral et, sur le long terme, le poids des reprises dont il fera (peut-être !) l'objet.

L'époque baroque ne s'est guère montrée exigeante à cet égard, empruntant l'immense majorité de ses arguments aux mythes de l'Antiquité et produisant, de ce fait, un théâtre décalé dans le temps qui convenait aux monarchies conservatrices en place. On crédite Mozart d'avoir rompu avec cette tradition aseptisée, en particulier dans "Les Noces de Figaro" et "Don Giovanni", deux oeuvres à l'écoute des aspirations révolutionnaires et sociétales alors en pleine émergence en France.

Au 19ème siècle, un public bourgeois a réclamé que les personnages mis en scène lui ressemblent davantage et qu'ils partagent leurs préoccupations. Les passions humaines ne variant guère d'un siècle à l'autre, les intrigues ont alors souvent tourné en rond entre vengeances amoureuses, jalousies destructrices et amours contrariées, comptant sur la musique pour éviter une banalité menaçante.

Il ne suffit pas de tenir un sujet, encore faut-il le traduire en un livret musicalement exploitable dans un temps raccourci. Sauf le cas rare où le musicien entend se débrouiller seul, cela requiert le concours d'un librettiste compétent, capable d'opérer un découpage scénique réaliste dans une langue qui supporte les contraintes de la mise en musique. L'Histoire a retenu quelques collaborations légendaires entre Francesco Busenello et Claudio Monteverdi, Pietro Metastasio et une multitude de musiciens baroques que je renonce à énumérer, Lorenzo da Ponte et Wolfgang Mozart, Arrigo Boito et Giuseppe Verdi et Hugo von Hofmannsthal et Richard Strauss. Quant à Richard Wagner qui se serait bien vu écrivain dans une autre vie, il n'a laissé à personne d'autre le soin d'écrire ses livrets. Avec le recul, force est d'admettre qu'il a bien fait d'être musicien tant ses récits sont tortueux dans le fonds et nébuleux dans la forme, heureusement sauvés par un chant souverain et une musique incandescente.

Certaines oeuvres ont triomphé à la scène malgré des livrets calamiteux, par la grâce d'un chant solaire et d'un tissu orchestral efficace à défaut d'être raffiné. L'exemple parfait est sans doute Il Trovatore, de Verdi, que les amateurs adorent pour sa collection de tubes inoxydables. On demeure stupéfait devant la richesse de l'inspiration musicale que l'auteur a puisée dans une intrigue aussi invraisemblable et dénuée d'intérêt (Un enfant enlevé à la naissance et tué à l'âge adulte par son propre frère qui croyait se venger de la kidnappeuse, je vous épargne les détails). Il semble de fait impossible d'épuiser la charge émotionnelle des airs fameux, pourtant entendus mille fois, qui parsèment cette oeuvre apparemment immortelle.

La conduite de l'action

Un problème épineux qui se pose à tout compositeur qui a trouvé son livret concerne la conduite de l'action. Le public a tendance à ne retenir d'un opéra que les airs de bravoure qui cristallisent les passions parvenues à un paroxysme (folie, vengeance, jalousie, colère, etc). Reste qu'entre les airs, où il ne se passe rien, il faut bien que l'action progresse selon un récit(atif) n'abusant pas de la patience du public. D'une époque à l'autre, les musiciens ont expérimenté diverses solutions à ce problème épineux et le fait est qu'elles ne sont pas toutes de qualité équivalente :

  • Le "recitativo cantando" s'est d'emblée imposé vers 1600 lorsque Claudio Monteverdi a eu l'idée d'étendre la formule madrigalesque alors bien rodée aux exigences théâtrales (Exemple : Il Ritorno d'Ulisse in Patria, en 35:01). Il s'est imposé pendant trois quarts de siècle, ne cédant le pas que lorsqu'il a eu épuisé ses effets.
  • La tragédie lyrique, de Lully à Rameau, a inventé le modèle typiquement français du récitatif classique calqué sur la rhétorique théâtrale du même nom (Exemple : Atys, en 30:55). La langue française s'y est trouvée à l'aise, servie par une musique constamment disposée à en souligner la diction. Cette formule prestigieuse mais hautement conventionnelle a perduré en France jusqu'à la Révolution de 1789.
  • Le baroque italien tardif a privilégié les airs virtuoses dont la devise semble avoir été "Toujours plus vite, toujours plus haut (= aigu)". Les récitatifs sont alors passés au second rang des préoccupations des compositeurs, pressés d'expédier les mono(dia)logues intercalaires avant d'enchaîner l'air suivant. Un "recitativo secco" compulsif en est résulté, seulement ponctué par un continuo généralement confié à un clavecin anémique (Exemple : Orlando furioso, en 28:40). Cette mode a sévi de façon endémique dans l'opéra italien (Vivaldi, Porpora, Vinci, ...) et (par contagion) italianisant (Händel, Hasse, ..., jusqu'aux oeuvres classiques de Haydn et Mozart). Ces récitatifs peuvent devenir tellement envahissants qu'il n'est pas rare, de nos jours, qu'on y pratique des coupures au risque d'obscurcir davantage une action qui ne brillait déjà pas par une clarté extrême. C'est particulièrement le cas lorsqu'on enregistre l'oeuvre en studio, avec l'avantage - il est vrai - de réduire la capacité requise du support ! La variante du "recitativo accompagnato" a ultérieurement amélioré la sauce en confiant la ponctuation à l'orchestre (Exemple : Il Maestro di Cappella, en 2:45).
    Note. Le dernier opéra de Mozart (La Clémence de Titus, une commande pour le couronnement de Leopold II comme roi de Bohême) illustre encore fort tardivement le principe du recitativo secco : le compositeur pressé par le temps (six semaines allouées, tout compris !) n'a tout simplement pas eu la possibilité de soigner des récitatifs inutilement longs (Exemple : La Clémence de Titus, en 22:45).
  • Le singspiel est apparu à Vienne et plus généralement en Allemagne à la fin du 18ème siècle. Il a été la première tentative d'émancipation du chant théâtral en langue allemande. Confronté au problème du récitatif, il a opté pour la solution de facilité consistant à intercaler des intermèdes parlés entre les airs. La Flûte enchantée de Mozart a été le premier essai transformé de ce mode d'expression et il a été repris, dans la foulée, par Beethoven (discrètement) dans Fidelio et par Weber (abondamment) dans Oberon et surtout Der Freischütz. L'opéra comique parisien en fera ultérieurement un usage systématique dans des oeuvres légères destinées à un public bourgeois plus avide d'action romancée que de musique savante. A la scène, certaines oeuvres nettement plus ambitieuses (Carmen de Bizet) sont généralement amputées de leurs dialogues originels aussi nuisibles qu'inutiles pour qui connaît l'argument. En compensation et pour satisfaire la demande d'un certain public, les maisons d'opéra affichent désormais sur écran les répliques principales des chanteurs (éventuellement traduites), une pratique distrayante dans tous les sens du terme.
  • Verdi et Wagner ne sont pas pour rien les deux monstres sacrés de l'opéra du 19ème : tous deux ont pris le temps de soigner la progression de l'action quoique en recourant à des procédés entièrement différents. Sans entrer dans les détails, Verdi a atteint un point d'équilibre possiblement idéal en développant l'ancienne technique de l'arioso - intermédiaire entre le chant statique proche de la parole et la déclamation lyrique - et son enchaînement avec l'air de bravoure et sa strette finale (La Traviata, Acte II). Wagner s'est montré encore plus innovant en développant le principe de la mélodie continue qui, sauf exceptions notables (Prière d'Elisabeth dans Tannhäuser, air Du bist der Lenz dans la Walkyrie, etc), gomme toute différence entre chant et action (Walkyrie, Acte I, par exemple à partir de 19:55).
  • Au 20ème siècle, l'opéra s'est progressivement trouvé mal à l'aise avec les exigences d'une modernité nettement fâchée avec le "Beau Chant". Pour s'en tenir à deux exemples fameux, Debussy s'est inventé une prosodie improbable dans Pelléas et Mélisande (à partir de 3:18), adaptée au symbolisme de Maeterlinck, tandis qu'Alban Berg a testé sans réel avenir les possibilités du Spechgesang (Littéralement "chant parlé") initié par Schönberg (Wozzeck d'entrée, à partir de 1:25).
Prima la Musica e poi le Parole

Il était inévitable qu'un Art qui entendait fusionner Musique et Théâtre se trouve un jour confronté à la question de la possible prééminence de l'un(e) sur l'autre. C'est en France qu'un double débat est né à ce sujet, source de rudes (et éphémères) querelles :

  • A Versailles, sous le règne de Louis XIV, le verbe primait tout : la Cour était friande d'épigrammes spirituels et elle ne jurait que par (le modèle de) la tragédie classique. L'opéra a dès lors été prié d'en respecter les règles déclamatoires et de ne pas céder à la mode transalpine du chant virtuose. La Querelle des Bouffons (Rameau, coin du Roi Louis XV, contre Rousseau, coin de la Reine) a alimenté ce débat pendant trois ans (1752-54) jusqu'à ce que les italiens l'emportent provisoirement.
  • L'affaire a rebondi 20 ans plus tard (1775/79), à l'initiative des encyclopédistes emmenés par D'Alembert, ce qui a amené la Querelle des "Gluckistes" et des "Piccinistes". Le bavarois (!) Christophe Willibald von Gluck (1714-1787) a été invité à la Cour de Marie-Antoinette pour défendre en appel la musique française. Gluck y a surtout vu l'occasion de mettre en chantier une réforme qu'il méditait depuis ses années viennoises, tendant à recentrer l'opéra sur une intrigue débarrassée de ses péripéties pour n'en retenir que la valeur morale. Pour lui faire loyalement face, on a invité Niccolo Piccinni (1728-1800) à prendre la défense de l'opéra italianisant (Il en avait déjà composé plus de cent, Didon, Roland, ...). Tous deux se sont affrontés pacifiquement sur le terrain de la composition d'une oeuvre sur le thème d'Iphigénie en Tauride. Les intentions de Gluck étaient nobles comme l'était sa musique et il n'a éprouvé aucune peine à (con)vaincre, car de toute évidence son projet était supérieur à celui de Piccinni. Son point de vue s'est donc imposé jusqu'à ce que la tragédie antique passe de mode et que la Révolution de 1789 remette les compteurs (et les conteurs) à zéro.

Pour la petite histoire, la formule reprise en intitulé est empruntée au titre d'un opéra d'Antonio Salieri (1786) où le compositeur a nettement pris parti pour une prééminence naturelle de la musique sur le théâtre lorsque tous deux sont invités à cohabiter.

150 ans après Salieri, Richard Strauss a reposé la question, en faisant l'argument de son opéra Capriccio (1941). S'il a entretenu le doute afin de ne vexer personne, il a dans les faits confirmé le point de vue de Salieri : on vient peut-être à l'opéra pour l'intrigue et/ou sa mise en scène mais on n'y retourne à coup sûr que pour la musique et le chant.

Les oiseaux chantaient-ils mieux hier ?

Le chant est la grande affaire de l'opéra, porté par des voix timbrées, puissantes et/ou agiles, en tous cas capables de rayonner sans intermédiaire électroacoustique. D'une production à l'autre d'une oeuvre donnée, il suffit que les voix changent pour que la magie du spectacle soit renouvelée. Voilà pourquoi les amateurs ne se lassent pas de (re)voir et de (ré)entendre leurs oeuvres favorites.

Cependant, il existe une controverse alimentée par les amateurs âgés selon laquelle la qualité des voix n'a cessé de diminuer au cours du 20ème siècle. Leur conviction repose sur la disparition supposée de "grandes" voix qui, selon leurs dires n'existeraient plus en l'état; nostalgie trompeuse ou constat lucide ?

Il est fréquent que les anciens déplorent que rien n'est décidément plus comme avant et que la jeune génération sourie avec indulgence à ce qu'elle assimile à des accès de sénilité. Cependant l'inventaire des grandes voix qu'on a pu entendre au cours des 100 dernières années et pour lesquelles des enregistrements existent, semblent démontrer que les nostalgiques n'ont pas nécessairement tort : rappelez-vous le duo fameux entre Jon Vickers et Birgit Nilsson, écoutez la prestation de Maria Callas au mieux de sa forme dans Macbeth de Verdi (à partir de 2:54) ou encore celle de Franco Corelli (1921-2003) dans le rôle de Manrico dans Il Trovatore (ou celui de Calaf dans Turandot). Depuis que Luciano Pavarotti nous a quitté (en 2007), n'espérez pas entendre de sitôt des voix comparables !

B. Nilsson & J. Vickers
Birgit Nilsson & Jon Vickers
M. Callas & F. Corelli
Maria Callas & Franco Corelli

D'autres artistes vocaux, la plupart décédés, ont incarné les grands rôles du répertoire et ils semblent n'avoir jamais été vraiment remplacés (Les enregistrements proposés sont fatalement anciens mais ne vous laissez pas distraire par leur manque de fidélité) :

Chaliapine dans Boris
Chaliapine dans Boris

Où sont passés les successeurs de Fedor Chaliapine (1873-1938, Don Quichotte de Massenet), Enrico Caruso (1873-1921, Turandot de Puccini), Kirsten Flagstad (1895-1962, Le Vaisseau Fantôme de Wagner), Jussi Björling (1911-1960) et Renata Tebaldi (1922-2004, Turandot de Puccini), Elisabeth Schwarzkopf (1915-2006, Gianni Schicchi de Puccini), Birgit Nilsson (1918-2005, Salome de Strauss), Maria Callas (1923-1977, Macbeth de Verdi, en 9:15), John Vickers (1926-2015, Fidelio de Beethoven), Régine Crespin (1927-2007, Sapho de Gounod), Nicolaï Ghiaurov (1929-2004, Le Barbier de Séville de Rossini), Fritz Wunderlich (1930-1966, Xerxes de Haendel), Martti Talvela (1935-1989, La Flûte enchantée de Mozart), Luciano Pavarotti (1935-2007, Il Trovatore de Verdi), Kurt Moll (1938-2017, Boris Godounov de Moussorgski), ..., arrêtons là, il est inutile d'enfoncer davantage le clou de l'évidence.

Les sceptiques objecteront qu'il n'y a aucune raison pour que les voix actuelles soient moins fameuses que celles d'antan mais les faits ne mentent pas et il est plus utile de leur chercher une explication. Celle-ci pourrait résulter de quelques changements radicaux dans le style de vie de nos contemporains. Tout y va de plus en plus vite dans tous les domaines de l'activité humaine et pour nous en tenir au sujet étudié, les très jeunes chanteurs pensent un peu vite qu'ils peuvent accepter n'importe quel rôle qui exigeait naguère une préparation sérieuse. Les (très) grandes voix doivent mûrir pendant des années et se produire d'abord sur des scènes aux dimensions raisonnables et dans des rôles progressivement adaptés avant de se frotter aux rôles écrasants du grand répertoire; même les coureurs (non dopés) du Tour de France savent qu'ils doivent se préparer. Déjà vers 1850, Berlioz estimait que les salles italiennes ou parisiennes étaient beaucoup trop grandes, privilégiant la recette au sain exercice du chant. Il énonçait qu'au-delà d'une distance critique par rapport à la scène, l'auditeur pouvait bien continuer d'entendre, il ne vibrait plus. Le chanteur était alors condamné à s'époumoner plus que de raison au risque de sacrifier la nuance et, à terme, le timbre de sa voix. Que dire alors de nos chanteurs actuels certes fort méritants mais contraints de remplir un MET de 3800 places sans l'aide (officielle ?) d'une sonorisation ? Aujourd'hui, les saisons sont programmées avec deux ou trois ans d'avance et tout un système doit être mis en place pour honorer les contrats. Or la pollution atmosphérique, sournoise mais ambiante, multiplie les allergies au niveau de la sphère ORL et à la moindre alerte, les chanteurs se soignent à grands coups de cortisone. Pris isolément, aucun de ces événements ne justifie la relative précarité vocale observée mais leur accumulation pourrait bien être fatale.

A tout mal il y a un bien et une conséquence heureuse de la pénurie relative de très grandes voix a été l'absence de modèles intimidants. L'accès au chant s'est dès lors démocratisé, privilégiant l'agilité plutôt que la puissance. Cela a particulièrement servi l'exploration du répertoire ancien : ce que Wagner et Strauss ont perdu en audibilité (à l'aune des années 1950-80), Monteverdi, Cavalli, Händel, Vivaldi, Rameau et Gluck l'ont gagné et ce n'est nullement négligeable.

Nombre de cantatrices actuelles s'illustrent désormais dans l'opéra baroque : Cecilia Bartoli ou Julia Lezhneva dans Vivaldi, Vivica Genaux dans Händel, Mariana Flores dans Cavalli, Giuseppina Bridelli dans Porpora, Véronique Gens dans Rossi, Mireille Delunsch dans Rameau (en 1:40) et la liste est beaucoup plus longue que cela.

Chez les messieurs, Marc Mauillon (dans Marais) est un exemple de baryton-ténor en pleine ascension mais c'est sans doute la voix de contreténor qui a le plus bénéficié des progrès actuels (Jakub Józef Orliński ou Philippe Jaroussky dans deux airs de Vivaldi, respectivement extraits de Il Giustino et Orlando furioso ). Dans ce domaine, chaque année révèle une nouvelle étoile et il est impossible de les citer tou(te)s.

Théâtre musical ou Concert théâtral ?

Avec le temps, les nostalgiques se sont faits rares et le débat sur les voix a cessé d'agiter les observatoires du monde lyrique. Une autre question a pris de l'importance, "Prima la musica o la scenografia ?". Il faut comprendre que les motivations des amateurs d'opéra peuvent être très variées : certains se déplacent pour entendre de belles voix (et à la limite peu importe ce qu'ils chantent), d'autres veulent entendre quelques airs fameux (et à la limite peu importe qui les chante) mais il existe aussi un public qui attend avant tout une mise en scène à grand spectacle et tant mieux si les deux critères précédents sont en prime respectés.

Seules les deux premières catégories se déplacent lorsque la mise en scène traditionnelle est remplacée par une simple mise en espace voire par une version de concert. Cela se produit toutes les fois que les fonds viennent à manquer, ce qui est hélas de plus en plus fréquent car l'opéra coûte cher. Les oeuvres ennuyeuses, il y en a, ne résistent pas à ce traitement minimaliste : incapables de maintenir l'intérêt théâtral et musical sur la durée de la représentation, elles ont besoin du secours distracteur que constitue la mise en scène.

Celle-ci a évolué au cours des siècles. Elle était volontiers surchargée à l'époque baroque, recourant à toutes sortes de machine(rie)s sophistiquées censées illustrer les arguments mythologiques. Il a fallu attendre que Mozart s'intéresse à des thèmes davantage en phase avec l'actualité (de son époque !), pour que la mise en scène évolue vers davantage de naturel dans la mobilité des acteurs, un état qui a perduré pendant 150 ans au moins.

La mise en scène a cependant connu un temps d'arrêt avec Wagner dont le théâtre exigeait de grandes voix qui ne pouvaient s'exprimer pleinement que dans une immobilité relative. Elle a dès lors partiellement régressé, obligée qu'elle était de "planter" ses acteurs au mépris de l'action en cours. Les très grands chanteurs du passé n'appréciaient en effet guère (voire refusaient) de se plier à des exigences qu'ils ne considéraient pas comme étant du ressort de leur art, même bouger sur scène était déjà de trop.

Les chanteurs actuels sont peut-être vocalement moins vaillants mais ils sont nettement plus souples et conciliants, ne rechignant pas à chanter assis quand ce n'est pas couchés - si on le leur impose - une aberration cependant du point de vue de l'émission vocale (Même les ensembles instrumentaux baroques savent que la position debout des musiciens - ici dans Vivaldi - assure une meilleure articulation et un véritable dynamisme collectif; alors que dire des chanteurs auxquels on apprend le maintien et le contrôle respiratoire dès leur première leçon ?). Certains metteurs en scène comptent aujourd'hui sur la docilité des chanteurs pour se poser en artisans à part entière d'un spectacle qui leur devrait chaque jour davantage.

Une mise en scène respectueuse de l'oeuvre et de ses acteurs peut pourtant faire des merveilles sans verser dans l'extravagance. L'histoire a retenu quelques tandems fameux (mise en scène & direction musicale) : Jean-Pierre Ponnelle & Nikolaus Harnoncourt dans Monteverdi (Orfeo), Patrice Chéreau & Pierre Boulez dans Wagner (Die Walküre) et plus récemment Michael Riesman & Robert Wilson dans Glass (Einstein on the Beach), Laurent Pelly & Marc Minkowski dans Rameau (Platée) ou Robert Lepage & Susanna Mälkki dans Saariaho (L'Amour de loin), ce ne sont évidemment que des exemples.

Voici un autre exemple récent (2020) et particulièrement remarquable : l'opéra des Margraves de Bayreuth (Markgräfliches Opernhaus, à ne pas confondre avec la célèbre Festspielhaus réservé exclusivement à Wagner) a monté à grands frais Carlo il Calvo (Charles le Chauve) de Nicola Porpora, une oeuvre (vocalement magnifique) qui cumule toutes les conventions du genre y compris les plus problématiques. Le résultat s'avère pourtant une réussite totale comme peuvent le vérifier les fidèles de la chaîne Mezzo-TV chaque fois qu'elle reprogramme l'enregistrement réalisé en direct (3h 40 min !). Ce spectacle luxueux est exceptionnel à tous égards, artistique et ... financier.

A l'inverse, il est arrivé que des mises en scène prétendument dépoussiérées n'aient fait plaisir qu'à leur auteur, telle celle, grotesque, d'Hyppolite et Aricie de Rameau (Glyndebourne 2014) dont je me suis plaint ici même.

Une dérive particulièrement agaçante chez les metteurs en scène (in)volontairement engagés politiquement concerne la transposition de l'oeuvre concernée dans un contexte qui l'éloigne de la portée voulue par le compositeur : Fidelio a ainsi été transposé sans bénéfice à Guantanamo ou dans les geôles de l'Allemagne nazie mais je doute que Beethoven aurait apprécié.

L'opéra en studio

L'opéra entretient un rapport très particulier avec les studios d'enregistrement. S'il est d'usage, en musique, de privilégier l'écoute en salle, sans intermédiaire électroacoustique, l'opéra tolère de nombreuses exceptions pour toutes sortes de raisons qui découlent des données exposées ci-avant. Monter un opéra à la scène dans de bonnes conditions coûte très cher et cela se répercute inévitablement sur le prix des places. C'est sans doute une façon commode de limiter l'auditoire potentiel car de toutes façons, le nombre des représentations est limité par l'emploi du temps des artistes engagés. Au total, une salle de 2000 places n'accueillera jamais beaucoup plus que 25000 spectateurs par affiche.

Ceux qui n'ont pas pu assister au spectacle se consoleront peut-être en apprenant par la presse spécialisée que, tous comptes faits, la distribution n'était pas totalement idéale, que l'orchestre ou son chef manquait d'allant, que les décors étaient minimalistes ou que la mise en scène était outrée. Ils se rabattront alors sur l'enregistrement de leur choix, CD ou DVD, qui ne cumule pas ces défauts. S'il a été bien choisi, il leur réservera éventuellement les meilleures voix du moment, rassemblées pour la circonstance. Les nostalgiques des grandes voix d'un passé suffisamment récent pour que la prise de son demeure convenable pourront même se régaler de distributions de rêve impossibles à (re)produire en direct.

Enfin, pour les mélomanes intéressés par les oeuvres plutôt rares mais dont la liste s'allonge chaque jour, l'enregistrement s'avère indispensable et les Parties II, III & IV de cette ensemble pourraient les aider dans leur exploration.

Fin de la première partie